mercredi, novembre 01, 2006

LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES : Entretien avec le producteur Don Hahn

FANTASIA n’était pas encore terminé que déjà Walt Disney envisageait non pas une mais des suites, souhaitant faire de ce film unique une merveilleuse symphonie éternellement inachevée. Soixante ans plus tard, le souhait du papa de Mickey se réalisait grâce à son neveu, Roy E. Disney : FANTASIA/2000 ouvrait le XXIe siècle par un nouveau mariage idéal de l’animation et de la musique. Et c’est fort de ce nouveau succès que Roy E. Disney décida en 2002 de renouveler l’expérience, lançant un troisième FANTASIA, sous le nom de code de « The Music Project ». Un « Fantasia 2006 » un peu différent puisque non pas basé sur la musique classique, mais sur les musiques du monde, et qui malheureusement n’a pu voir le jour.
Fort heureusement, certains courts-métrages initiés en 2002 ont pu malgré tout être finalisé et présentés au public, que ce soit lors de festivals (DESTINO de Salvador Dali et LORENZO de Mike Gabriel à Annecy) ou dans des bonus dvd : UN PAR UN de Pixote Hunt et Dave Bossert dans l’édition collector du ROI LION et aujourd’hui LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES de Roger Allers, présent dans l’édition collector de LA PETITE SIRENE.
Un véritable chef-d’œuvre de poésie et d’émotion à propos duquel nous avons eu le privilège de parler avec son producteur, Don Hahn, véritable légende de l’animation, à qui l’on doit également LA BELLE ET LA BÊTE, LE ROI LION, LE BOSSU DE NOTRE-DAME ou encore ATLANTIDE : L’EMPIRE PERDU.


Quelles sont les origines de LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ?
Il y a quatre ans, nous avons songé à faire un nouveau FANTASIA, qui serait cette fois inspiré par les musiques et les cultures du monde. Du tango à la musique japonaise, il y avait beaucoup de sons et d’histoires à explorer. Et l’une d’entre elles était La Petite Fille aux Allumettes.

Vous parlez du conte classique de Hans Christian Andersen, l’auteur de La Petite Sirène. Et pourtant, vous avez déplacé ce conte vers la Russie pré-révolutionnaire.

La musique qui a été choisie pour cette histoire était un mouvement de quatuor du compositeur russe Alexandre Borodine, et le réalisateur Roger Allers s’est inspiré de l’âme russe qui se dégage de cette pièce pour situer son film dans l’hiver glacial de la Russie. C’est à partir de là que les choses ont réellement commencé.

Quelle fut la première idée : l’histoire ou la musique ?
Dans le cas de La Petite Fille aux Allumettes, c’est l’histoire qui est venue en premier. Partant de là, nous avons cherché une musique qui aille avec ce conte. Pendant un temps, Clair de Lune de Claude Debussy nous a semblé le bon choix,. Cette pièce semblait convenir à l’histoire que nous souhaitions traiter, mais finalement, il s’est avéré que cela ne fonctionnait pas aussi bien que cela, pas exactement dans le sens que nous étions en train de développer. Nous nous sommes donc remis en quête d’une musique, et c’est ainsi que nous sommes tombés sur le troisième mouvement (Notturno) du Quatuor à Cordes n° 2 en Ré Majeur d’Alexandre Borodine.

Est-ce vous qui avez songé à ce morceau ?
En effet. Je le connaissais bien et je l’ai proposé à Roger Allers. Roger est un grand ami et un réalisateur de talent à qui l’on doit notamment LE ROI LION. Il a trouvé que cette pièce fonctionnait parfaitement avec ce qu’il envisageait et nous avons alors adapté notre storyboard afin qu’il colle exactement à la musique.

Ce nouveau FANTASIA était aussi le projet de Roy E. Disney, tout comme FANTASIA/2000. Quel fut son rôle ?
Il a été très impliqué dans les premières phases du projet. C’est lui qui l’a véritablement impulsé. C’est ainsi qu’il a cumulé les fonctions de producteur et de producteur exécutif. Pour LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES, c’est lui qui s’est aperçu que Clair de Lune ne marcherait pas vraiment et qui nous a invités à poursuivre nos recherches. Il était également présent quand nous avons enregistré ce Nocture de Borodine avec le quatuor Emerson.

Comment votre choix s'est-il porté sur Roger Allers pour diriger ce court-métrage ?
Pour nous, les courts-métrages sont comme une bouffée d’air frais. Quand vous travaillez sur un long-métrage, cela vous prend quatre ans non-stop. Pour Roger, ce fut donc un projet relativement court. Certes, cela lui a également pris quatre ans pour le finaliser, mais dans le même temps, il a pu réaliser d’autres films parmi lesquels LES REBELLES DE LA FORÊT pour Sony. C’est l’un des grands réalisateurs de dessins-animés de notre temps, si ce n’est le plus grand. Il a travaillé tant d’années à créer des histoires pour Disney. C’est vraiment quelqu’un de formidable. Il a toujours eu une tendresse particulière pour La Petite Fille aux Allumettes dans la mesure où il avait l’habitude de raconter cette histoire à sa fille quand elle était petite, et ils pleuraient tous les deux à la fin. C’est un lien très émotionnel qu’il a développé avec ce conte, ce qui en faisait la personne idéale pour en diriger le court-métrage.

Vous évoquez de la fin de l’histoire. Vous avez conservé le dénouement original, avec la mort de la petite fille. Un ton assez inhabituel pour Disney, le spécialiste des « happy endings ».
Très honnêtement, ce final a été beaucoup et durement débattu. Roger et moi tenions à rester le plus fidèles possible à Hans Christian Andersen, tout particulièrement pour un court-métrage. Dans le cas d’un long-métrage comme BLANCHE-NEIGE, PINOCCHIO ou LA PETITE SIRENE, destiné à un très large public, Disney a l’habitude de travailler énormément son histoire et de modifier largement la trame originale d’un conte. Dans le cas de LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES, il nous a semblé que nous n’avions rien à gagner à altérer une histoire aussi belle et aussi poétique. Tout le monde ne fut pas d’accord et certains dirigeants refusèrent d’abord d’envisager une fin triste. Nous avons donc proposé quatre fins différentes et finalement, c’est notre point de vue qui l’a emporté ! Car en fait, ce n’est pas une fin si triste que cela. Au contraire, pour nous, c’est une fin pleine d’espoir.


Chaque court-métrage des différents FANTASIA est aussi l’occasion de nouvelles expériences, tant artistiques que technologiques. Et LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ne déroge pas à la règle.
Ce fut très intéressant car c’est vraiment un film « fait-main », un peu comme un manuscrit C’est ce que nous aimons le plus en animation. Roger voulait faire appel à l’aquarelle. Ce ne fut pas tant un problème pour les décors car le réalisateur et les décorateurs étaient rompus à cette technique et ont su créer une magnifique palette de tonalités dans ce style. Mais nous voulions dans le même temps que cette technique et cette douceur se retrouvent dans les personnages. Nous avons donc utilisé l’ordinateur pour créer différents effets afin de donner l’impression qu’ils sont peints à la main, au pinceau, à l’opposé de la technique classique, qui donne un résultat plus uniforme au niveau de la surface.

C’est une grande fierté de savoir que des membres de Walt Disney Feature Animation France ont participé à ce film !
Le studio français était vraiment extraordinaire. J’ai travaillé plus directement avec eux sur deux films, et notamment sur LE BOSSU DE NOTRE-DAME -l’un de mes films préférés- auquel ils ont su apporter un style unique. Ils nous ont beaucoup apporté à nous, cinéastes, en matière de littérature et d’art. J’ai toujours adoré travaillé avec notre studio français, et le fait qu’ils aient pu participer à LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES a été un très grand plaisir!

FANTASIA et FANTASIA/2000 ont expérimenté toutes sortes de relations entre images et musique. Comment cela se traduit-il ici.
Vous avez tout à fait raison en disant que FANTASIA est une grande expérience artistique explorant différents moyens de raconter des histoires sans le secours des dialogues, ou tout simplement en emportant le public dans un voyage visuel et sonore. Avec LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES, nous avions l’une des plus remarquables histoires de tous les temps. De plus, c’était une histoire courte, ce qui la rendait parfaite pour FANTASIA. D’un autre côté, nous voulions une musique qui ne soit pas trop mélancolique. L’histoire elle-même était un peu triste et nous voulions lui apporter certains moments plus énergiques, reflétant les rêves de la petite fille, ses espoirs et sa relation à sa grand-mère. Nous voulions aussi concilier une certaine crédibilité artistique en faisant appel à l’un des meilleurs quatuors à cordes actuels, le Quatuor Emerson, avec une interprétation musicale qui aide vraiment à raconter notre histoire. De ce fait, les musiciens n’ont pas joué en aveugle. Nous leur avons montré les dessins des personnages ainsi que le storyboard et ils ont adapté leur jeu et leurs tempos à la narration. Il y a donc eu une véritable interaction entre l’aspect visuel et la dimension musicale.

Comme vous le soulignez, FANTASIA ne peut se réduire à des images inspirées par la musique. C’est une véritable collaboration entre les arts.
Absolument. J’ai toujous pensé que la musique et l’animation étaient inséparables. Les plus grands films d’animation ont toujours été accompagnés de musiques remarquables. Je pense notamment au BOSSU DE NOTRE-DAME, mais également aux TRIPLETTES DE BELLEVILLE.

A quel niveau cette collaboration fonctionne-t-elle dans LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ?
Pour moi, c’est avant tout au niveau des émotions. Il n’y a pas vraiment de mots pour dire la tristesse quand elle est profonde. Les mots donnent des informations, mais ils sont limités dans leur intensité. Quand nous produisons des films musicaux comme LA BELLE ET LA BÊTE ou LE ROI LION, les personnages chantent toujours car, à certains moments, ce qu’ils ressentent est si fort qu’ils ne peuvent plus parler. Ils doivent chanter. C’est la même chose sur LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES : l’émotion est si profonde, l’espoir est si fort que seule la musique est capable d’exprimer cette intensité. Les mots ne peuvent exprimer qu’un spectre réduit d’émotions, un peu comme le spectre de la lumière visible par rapport à celui des ultra-violets, qui est extraordinairement étendu. Et je pense que la musique a la possibilité de couvrir d’une certaine façon les deux spectres, celui du visible et celui de l’invisible. C’est la raison pour laquelle je pense qu’elle est si importante dans ce film.

Du visible à l’invisible, de la froidure (voire la froideur) à la chaleur, le film semble basé sur les oppositions, les contrastes.
Plus que l’opposition du chaud et du froid, je parlerais de celle entre présence et absence de couleur. La majeure partie du début du film, jusqu’à ce qu’on découvre les rêves de la petite fille, est en noir et blanc. Il y a aussi la puissance, l’énergie (celle des chevaux, celle des retrouvailles dans le chalet avec sa grand-mère) par rapport à la douceur (celle de la fin). Tout cela nous a inspiré des textures différentes, des approches différentes. Quand vous êtes dans la ville, le monde en noir et blanc, les angles sont aigus : les bâtiments, les barrières… Alors que, lorsque vous arrivez dans la campagne, tout est doux, couvert de neige ; les décors et les personnages sont tout en rondeur, en douceur et en couleurs. C’est un univers très accessible. Et tous ces contrastes -aigu/rond, dur/doux- jouent un rôle fondamental dans notre film.

De la même façon, le Nocturne de Borodine possède le même type de contraste, à travers ses deux thèmes, l’un doux et calme, presque nostalgique, l’autre plus énergique.
C’est la raison pour laquelle nous avons trouvé qu’il correspondait si bien à notre histoire. Bien qu’elle ait été écrite il y a plus d’un siècle, cette œuvre nous parle toujours aujourd’hui. Dans la séquence de la ville, elle exprime à merveille la profondeur, en nous présentant cette petite fille et ses difficultés. Et dans la deuxième partie, on a ce changement, tandis que la petite fille gratte ses allumettes et qu’elle découvre le monde de ses rêves. La musique devient plus énergique, avec beaucoup de mouvement. C’est le moment où le traineau vient la chercher pour l’emmener vers la maison dans les bois. Enfin, quand il devient clair qu’elle n’aura jamais tout cela, l’intensité redescend et l’on retrouve cette tristesse douce-amère que l’on avait au début du film, quelque chose en même temps de plus calme et de poétique.

Dans les deux FANTASIA, une grande partie des œuvres classiques ont été coupées (Cinquième Symphonie de Beethoven) ou même réarrangées (Pompe et Circonstances d’Elgar, Toccata et Fugue en ré mineur de Bach). Cela fut-il le cas pour LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ?
En effet, mais dans une dimension moindre que pour les FANTASIA. Par exemple, dans la partition originale de Borodine, certains passages devaient être répétés et nous ne l’avons pas fait. De la même manière, nous avons coupé certaines sections à la toute fin du morceau pour des raisons de narration. Mais nous avons essayé le plus possible d’être fidèles à la façon dont Borodine a écrit son quatuor. Il faut savoir que cette pièce a été énormément adaptée au cours de l’histoire. Il en existe notamment une version orchestrale, et c’est d’ailleurs sous cette forme que j’ai découvert ce morceau pour la première fois. On en connaît même une adaptation pour Broadway, avec des paroles ! C’est une musique tellement romantique et tellement évocative. Nous nous sommes simplement situés dans la même veine.

Vous qui avez participé à FANTASIA/2000 ainsi qu’à ce nouveau projet, que ressentez-vous à l’idée de prolonger ce chef-d’œuvre absolu que fut le FANTASIA original?
Cela vous rend très humble, en fait. J’ai grandi en adorant tout ce que faisait Disney, et FANTASIA constitue sans aucun doute le sommet de l’art de l’animation. De plus, j’ai toujours aimé la musique –j’ai d’ailleurs une maîtrise de musique. De fait, la rencontre de la musique et des arts est quelque chose qui me touche très personnellement. Travailler sur ce genre de projet est ce qui me convient le mieux, et lorsque Roy Disney m’a proposé d’en faire partie, j’ai sauté sur l’occasion ! Je crois que c’est vraiment ce genre de film qui permet de conserver à l’animation toute sa vitalité.

LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES fait suite à la sortie de ONE BY ONE dans l’édition collector du ROI LION, un autre court métrage initialement prévu pour le troisième FANTASIA. Mais il reste encore DESTINO ou encore LORENZO qui, s’ils ont été projetés lors de différents festivals, n’ont pas encore eu les faveurs du grand public.
Je dois avouer qu’il n’y a encore rien de prévu en la matière pour le moment, mais si nous arrivons à produire d’autres courts-métrages dans cet esprit dans les années à venir, j’ai bon espoir que nous puissions les réunir dans un seul film afin de les présenter au grand public. J’adorerais faire cela car ce sont des films magnifiques qui n’ont été diffusés pour le moment que lors de festivals comme celui d’Annecy alors que j’aimerais beaucoup les partager avec le plus grand nombre.

Aujourd’hui, vous êtes tout particulièrement impliqué dans la production de tels courts-métrages expérimentaux.
A Walt Disney Feature Animation, j’occupe les fonctions de producteur, mais aussi de vice-président exécutif du développement créatif. Cela me permet précisément de promouvoir la création de ces courts-métrages. J’adore ce genre de films car ils apportent tellement. Ils permettent à de jeunes réalisateurs de faire leurs preuves, ou aux réalisateurs plus accomplis comme Roger d’expérimenter de nouvelles techniques. Cela nous permet également d’être vraiment en phase avec la communauté des animateurs, avec le monde de l’animation que nous apprécions énormément, et de partager nos expériences, de montrer notre savoir-faire, pas seulement en matière de longs-métrages, mais également de courts-métrages artistiques.

Ce renouveau des courts-métrages rappelle beaucoup le dynamisme des années 50 en la matière. Je pense notamment aux films expérimentaux de Ward Kimball par exemple. N’est-ce pas là un signe du renouveau de Disney en général ?
Je le crois. A chaque fois que le studio était à son meilleur niveau, nous produisions des courts-métrages. C’était le cas dans les années 50, ainsi qu’à la fin des années 80-début des années 90, à l’époque où Tim Burton a réalisé VINCENT ou FRANKENWEENIE et où Pixar a créé une bonne partie de ses premiers films, des courts-métrages également. C’est toujours le signe d’un environnement créatif en pleine santé. J’ai donc bon espoir que ce soit un signe, et c’est dans ce sens que nous travaillons avec John Lasseter et Roy Disney.

Quels souvenirs garderez-vous de cette expérience de LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ?
Même s’il ne s’agit que d’un film de six minutes, c’est toujours un marathon. Mine de rien, cela nous a pris quatre ans, le temps d’arrêter, de reprendre puis d’arrêter et de reprendre encore et encore. Mais cela en valait la peine car nous aimons que les choses soient faites correctement, afin de rendre le meilleur hommage à Hans Christian Andersen, qui nous a tant inspirés. Et je n’insisterai jamais assez sur notre attachement à l’animation traditionnelle, l’animation à la main. Lorsque cela est bien fait, c’est l’une des plus belles formes artistiques qui soit.

THE FROG PRINCESS est actuellement en préparation, et l’on ne peut que se réjouir de retrouver un projet de long-métrage en animation traditionelle, qui plus est mis en musique par le plus grand spécialiste de la musique d’animation, Alan Menken.
C’est ce qui fait que je suis très heureux d’y travailler actuellement avec les réalisateurs Ron Clements et John Musker. Nous puisons notre inspiration dans l’œuvre d’autres spécialistes des contes de fées, les frères Grimm, mais dans une approche vraiment très différente.

Special thanks to Don Hahn, Emily Hoppe and Kathy Bond.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

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10:44 AM  
Anonymous Anonyme said...

Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

12:21 AM  

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