samedi, décembre 16, 2006

LE MONDE DE NARNIA - EDITION ROYALE : Entretien avec le compositeur Harry Gregson-Williams

« Le Mal se change en bien
Aussitôt qu’Aslan revient,
Au bruit de son rugissement
Disparaissent tous les tourments
Quand il montre ses dents,
L’hiver meurt sur le champ,
Et dès qu’il secoue sa crinière
Le printemps renaît sur la terre.
Le jour où la chair d’Adam, où les os d’Adam
Siègeront sur le trône de Cair Paravel,
Le temps des malheurs cessera complètement.
»

Telle est, noble compagnon, la prophétie très ancienne que l’on se raconte de génération en génération de Narniens, et révélée en 1950 A.D. (2555 en années narniennes) par l’écrivain britannique Clive Staples Lewis dans LE LION, LA SORCIERE ET L’ARMOIRE MAGIQUE, deuxième volume des CHRONIQUES DE NARNIA.
Or, par la crinière du Lion, voici qu’un grand prodige a eu lieu l’année dernière : les magiciens du monde de Disney ont réellement découvert Narnia et ont pu accompagner Peter, Susan, Edmund et Lucy Pevensie dans l’accomplissement de la prophétie.
Rendons grâce en cela à Andrew Adamson, fils d’Adam qui avait déjà accompli l’exploit de filmer des créatures magiques, tel un ogre vert, et qui a su immortaliser avec déférence et passion le monde de Narnia, la beauté époustouflante de sa nature, la vie foisonnante et fantastique des animaux qui le peuplent et les aventures épiques qui l’ont secoué…
Rendons grâce également à cet aède merveilleux, Harry Gregson-Williams qui, à l’image d’Aslan, a engendré par la seule puissance de son chant le monde de Narnia, déployant tout son talent, tout son art, à créer le son unique de Narnia, à nul autre pareil…
«Narnia, Narnia, Narnia, réveille-toi. Aime. Pense. Parle. Que les arbres marchent. Que les bêtes parlent. Que les eaux divines soient

Comment a débuté votre travail sur LE MONDE DE NARNIA?
J'ai eu la grande chance de pouvoir travailler par le passé avec Andrew Adamson sur SHREK et SHREK 2. Nous avons fait notre petit bonhomme de chemin ensemble déjà. Et quand on lui a demandé de faire ce film, ce fut naturel pour lui de faire de nouveau appel à moi. J'en ai été positivement ravi, puis il a disparu pendant plusieurs moi en Nouvelle Zélande pour le tournage. Pour moi, la composition de la musique a véritablement commencé en mai 2005 et c'est terminée le 2 novembre de la même année.

En trois films, comment ont évolué vos relations avec Andrew Adamson?
LE MONDE DE NARNIA est vraiment très différent des deux SHREK. Avant tout, dans SHREK, il y avait un certain nombre de chansons dont il fallait tenir compte. Le résultat est que le 1 ne comporte que 45 minutes de musique et 60 minutes pour le 2. LE MONDE DE NARNIA comporte plus d'une centaine de minutes de musique. Nous sommes dans le cadre d'un film en prises de vue réelle, avec de l'imagerie informatique, et un sens épique très développé. Au fil des films, ma relation avec Andrew a évolué de merveilleuse façon. C'est un musicien, il est guitariste, et il s'occupe lui-même de ses musiques temporaires. Il comprend parfaitement l'impact de la musique dans un film et est très ouvert, dans le sens où il m'autorise à aborder des scènes de façon inattendue, pas forcément évidente, ce qui donne lieu à pas mal de discutions passionnantes car il a des idées plus directes de mises en musique d'une scène.

Quelles furent ses demandes pour LE MONDE DE NARNIA?
J'ai passé six mois en Angleterre l'année dernière à composer la musique de KINGDOM OF HEAVEN pour Ridley Scott, et à cette époque, il m'a appelé de Nouvelle Zélande pour me dire "ne dépense pas tous tes thèmes épiques pour ce film ; gardes-en pour NARNIA!" A part ça, il ne m'a pas demandé de choses spécifiques. Il m'a laissé regarder les premiers montages librement de telle sorte que je puisse surtout me familiariser avec les personnages, et expérimenter différentes approches musicales. Ce n'est qu'à la fin de ces tests que nous avons trouvé ensemble le son de NARNIA.

Quand on pense aujourd'hui à l'heroic fantasy, c'est LE SEIGNEUR DES ANNEAUX qui nous vient immédiatement à l'esprit. Quelle est la spécificité du MONDE DE NARNIA?
J'adore l'œuvre de Tolkien et l'adaptation qu'en a fait Peter Jackson. Seulement, cet univers est extrêmement sombre, ce qui n'est pas le cas de notre film. On y trouve certes quelques ombres. Ainsi, le personnage le plus sombre est la Sorcière Blanche, et nous avons souhaité la dépeindre de façon originale. Lors du tournage, Andrew a noté que c'était certainement l'un des tout premiers personnages de ce type, repris et repris maintes fois par la suite à Hollywood comme avec Cruella D'Enfer, par exemple. C'est la raison pour laquelle nous avons cherché une autre approche qui prenne en compte cette allure et ce charisme qui se dégagent de ce personnage à l'écran. Et l'on comprend que le plus jeune frère Pevensie tombe sous son charme et va jusqu'à trahir sa propre famille pour elle. J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur son thème car, précisément, il n'est pas d'une seule pièce. Il cumule un côté sombre évident, mais en même temps renferme des éléments de séduction très intéressants.
Mais cette noirceur n'est pas l'essentiel de notre propos. Il s'agit avant tout d'un film sur la famille. Quatre enfants disparaissent dans ce monde fantastique et se retrouvent séparés. Ce n'est qu'à la fin du film qu'ils sont réunis. Chacun d'entre eux doit faire une sorte de voyage initiatique, mais ils doivent également le faire ensemble. Cela se ressent nettement dans ma manière d'aborder le film musicalement. Il fallait que ma musique soit très personnelle, très intime, axée sur un personnage en particulier à certains moments, et épique et grandiose à d'autres.

Les enjeux artistiques et financiers sont très importants sur ce film, ne serait-ce que par rapport à l'éventualité de suites. Comment se sont passées vos relations avec Disney par rapport à cela?
Andrew est non seulement le réalisateur du film, mais également son producteur exécutif, ce qui nous a donné une grande autonomie. Tout l'aspect musical a été élaboré par lui et moi, et aucun exécutif de Disney ne s'en est mêlé. Je leur en suis vraiment très reconnaissant. Nous avons eu leur soutien total. C'est une grande compagnie qui a la réputation d'avoir un grand contrôle sur leur production. Ce ne fut pas mon cas : nous avons vraiment eu carte blanche.

LE MONDE DE NARNIA possède le plus grand nombre de créatures de l'histoire du cinéma. Partant de là, quelle fut votre stratégie en matière de thématique?
Ce fut très intéressant. Ma stratégie a été de ne pas me limiter à des thèmes de personnages, mais de composer également des mélodies pour le lieu lui-même. J'ai ainsi commencé à travailler sur un thème qui exprimerait la beauté de Narnia. Il faut dire qu'Andrew est parvenu à donner une beauté éblouissante à ce monde, et mon inspiration est venue d'elle-même à partir de là. Ce thème incarne la beauté et les espoirs de Narnia. Quelques jours après l'avoir écrit, j'en discutais avec Andrew, et je me suis rendu compte que ce thème ne possédait pas tout ce que je voulais y mettre. Je suis donc retourné au début du film, au moment de l'arrivée de Lucy à Narnia. Le premier personnage qu'elle rencontre est Mr. Tumnus, moitié faune, moitié homme. Pour ce moment en particulier, mon thème me paraissait inapproprié. C'est ainsi que j'ai écrit un deuxième thème pour Narnia, que nous avons appelé The History Of Narnia. C'est une sorte de mélodie folk, mais je ne voulais pas que cela sonne spécifiquement irlandais ou écossais. Je voulais donner le sentiment au public, au moment de cette arrivée, de ce passage à travers l'armoire magique, que Narnia était là des milliers d'années avant nous et faire ressentir le fait que Narnia possède sa propre histoire, millénaire. Ce fut une révélation pour moi. De fait, Narnia avait deux dimensions : l'une, historique et l'autre liée à sa beauté pour les Pevensies.
En ce qui concerne les thèmes des personnages, il m'a semblé évident de commencer par Lucy Pevensie, la plus jeune. Elle est adorable, au-delà des mots. C'est aussi le catalyseur de tout ce qui arrive dans le film. Elle fait immédiatement confiance aux créatures qu'elle rencontre, qui, en retour, lui font également confiance. Puis je me suis intéressé à l'aîné, Peter, qui devient très héroïque à sa façon. Son thème croît tout au long du film pour culminer dans le dernier acte. Il y a aussi un thème pour Mr. Tumnus, que j'ai écrit il y a environ un an et demi. Andrew était en Nouvelle-Zélande et il m'a appelé pour me dire qu'il devait tourner une scène dans laquelle ce personnage jouait de cette flûte mythique, un peu comme une flûte de pan, et que je devais écrire tout de suite la musique de cet instrument dans la mesure où il voulait que l'acteur qui jouait Mr. Tumnus joue vraiment sur ma musique. Je me suis donc d'abord intéressé à cet instrument en forme de W, ni tout à fait une flûte, ni tout à fait une clarinette et j'ai fini par choisir le duduk, cet instrument antique à anche double. J'ai ensuite composé une sorte de berceuse que j'ai envoyée par internet à Andrew. Nous avons travaillé ainsi pendant une semaine. Puis je n'ai plus entendu parler de lui pendant un an. Ce n'est qu'à son retour de Nouvelle-Zélande que j'ai pu constater que mon thème était présent dès la première scène tournée. Vient ensuite Aslan. En fait, pendant une grande partie du film, on en parle plus qu'on le voit –la rencontre avec les enfants n'ayant lieu que bien plus tard-. J'ai voulu profiter de l'occasion pour créer une sorte d'anticipation en musique, et son thème apparaît chaque fois qu'il est évoquer, et notamment lorsque les blaireaux parlent de la prophétie de Cair Paravel et de la venue des Fils d'Adam et des Filles d'Eve pour libérer Narnia de la Sorcière Blanche. C'est ainsi que le thème d'Aslan, avant que le Lion n'apparaisse effectivement à l'écran, est devenu en même temps le thème de la prophétie. Mais je ne le livre en fait dans sa pleine dimension que lorsque la rencontre se produit enfin, ce qui permet de la dramatiser de façon très intéressante.

Il y a beaucoup de références bibliques dans LES CHRONIQUES DE NARNIA. Les avez-vous intégrées à votre partition?
Cet aspect des CHRONIQUES m'intéresse beaucoup. Cependant, Andrew a tenu à ce que nous abordions ce film sans référence particulière à cet aspect de l'histoire. On trouve certes dans ma musique certains échos sacrés, notamment à travers l'utilisation du chœur, mais c'est une dimension qui n'est pas du tout soulignée. Par exemple, pour la scène du sacrifice d'Aslan, j'avais écrit une pièce pour chœur très triste, et Andrew m'a dit que ce moment possédait une dimension religieuse par lui-même et qu'il ne fallait pas en rajouter. Il m'a donc demandé d'écrire une musique certes triste, mais par tous les moyens possibles à l'exception du chœur.


Le film s’ouvre sur la guerre avant de nous faire pénétrer dans le monde de Narnia. Comment avez-vous traité ces différents univers ?
Le monde réel ne représente en gros que le premier quart d’heure du film, avant que nous ne découvrions Narnia aux côtés de Lucy. Le début du MONDE DE NARNIA est assez violent et sombre : ce sont les bombardements de Londres la nuit. C'est un moment très intense et troublant pour les enfants qui sont très rapidement envoyés à la campagne pour être protégés de la guerre. Une fois que l'on arrive à Narnia, l'orchestration est comme transformée. Nous ne sommes plus dans le monde réel. Cela se ressent notamment par l'utilisation de flûtes ethniques de toutes sortes. Ce sont des sonorités exotiques, mais j'ai tenu à ce qu'on ne puisse pas les lier à un lieu géographique précis : ce n'est ni asiatique, ni celtique. C'est narnian, tout simplement.

Le film regorge de moments intenses. Quelle scène vous a le plus inspiré?

Je dirais celle dans laquelle les enfants sont couronnés rois et reines de Narnia. C'est un moment d'une grande intensité émotionnelle. Quand j'ai commencé à mettre en musique cette séquence, j'avais déjà composé à peu près 90 minutes de musique et j'avais tous mes thèmes. Ce fut une sorte de merveilleuse apothéose et un immense plaisir! Je crois que si j'avais eu à l'écrire au début de la production, j'aurais été terrifié! Mais là, j'étais plutôt impatient!

Cette partition signe une nouvelle et magnifique collaboration avec la vocaliste Lisbeth Scott.
Lisbeth est une remarquable chanteuse, avec une voix magnifique. Mais elle n'est pas que cela : elle est aussi une remarquable musicienne de studio. Je l'ai appelée pour lui dire que j'avais besoin d'elle pour une interprétation très particulière : ni tout à fait des mots, ni tout à fait une mélodie. Elle est alors venu à mon studio et nous avons commencé à expérimenter des choses. Elle a tout de suite compris ce que nous essayions de faire dans ce film. Elle apparaît dans quatre ou cinq pièces, quand je ne voulais pas de chœur, mais bien plutôt une voix solo qui puisse se fondre dans l'orchestration.

Quelle est son rôle dans votre musique?
Elle apparaît dans les scènes incluant la petite Lucy. Lisbeth a une voix qui dégage cette sorte d'innocence de l'enfance qu'incarne si magnifiquement la plus petite des Pevensie.


Un autre de vos collaborateurs récurrents n'est autre que Hugh Marsh, au violon électrique.
Certaines personnes sont effrayées par l'idée d'un violon "électrique". Je ne sais pas comment d'autres peuvent employer les talents de Hugh, mais de mon côté, je l'utilise pour sa sonorité merveilleusement chaleureuse. Dans ma partition, il est très difficile de dire que c'est un instrument électrique. J'ai fait appel à lui pour le thème History Of Narnia dont nous parlions tout à l'heure. Comme pour les flûtes ethniques, j'ai voulu que cette sonorité ne soit pas identifiable, tant du point de vue de sa nature "électrique" que du fait-même qu'il s'agit d'un violon. J'aime beaucoup cette ambiguïté. Et quand Hugh en joue, cela devient très évocatif.

Là où LE SEIGNEUR DES ANNEAUX revendiquait magnifiquement ses influences celtiques, votre approche tient plus du mystère et de la magie…
C'était le challenge du MONDE DE NARNIA. LE SEIGNEUR DES ANNEAUX a fortement marqué les esprits et il fallait donner à cet autre film d'heroic fantasy sa propre sonorité, créer de toute pièce un monde musical spécifique.

Vous avez fait appel à un orchestre américain de 75 musiciens et à un chœur londonien de 140 chanteurs. Pouvez-vous nous parler de ces choix d'effectifs pour le moins originaux.
Je ne pense pas que la question de la taille de orchestre soit pertinente. Un orchestre de 75 musiciens est un grand orchestre ; un orchestre de 120 musiciens est ridicule, inutilement cher et prétentieux. Et puis il faut prendre en compte la taille de la salle. Nous avons enregistré le Hollywood Studio Symphony à Todd AO, ce qui était parfait pour un ensemble de cette taille. Pour moi, ce qui est beaucoup plus pertinent, c'est la taille du chœur. J'ai rencontré le Bach Choir au moment de KINGDOM OF HEAVEN. J'ai tellement apprécié leur travail que je me suis dit que si j'avais besoin d'un grand chœur pour LE MONDE DE NARNIA, c'est à eux que je ferais appel de nouveau. Et c'est ce que j'ai fait. Le fait est qu'ils ont su donner une interprétation d'une puissance inouïe pour la scène de la bataille. Cette masse de chanteurs est tellement importante que le résultat est bouleversant.

Êtes-vous impliqué dans la chanson du film, I Can't Take It In?
Absolument. J'ai eu la chance de travailler avec Imogen Heap, du groupe FrouFrou, sur cette chanson présente dans le générique de fin.

Et dans la version longue du film, l' Edition Royale en dvd?

Pas du tout.

Votre participation à PRINCE CASPIAN a été confirmée. Avez-vous commencé à travailler sur le film?

Pas encore. Pour l'instant, j'ai lu le script et commencé à réfléchir aux directions musicales que je pourrai prendre cette fois. Je ne devrai commencer à écrire de la musique qu'à la fin de l'été prochain.

Quel effet cela vous-fait-il d'envisager ainsi de retourner à Narnia?

Je suis très impatient! J'estime que j'ai beaucoup de chance de faire ainsi partie de cette grande saga!