mercredi, juin 27, 2007

PIRATES DES CARAÏBES - JUSQU'AU BOUT DU MONDE : Entretien avec le compositeur de musique additionnelle Atli Örvarsson

La richesse du studio Remote Control vient pour une bonne part de tous les artistes qu’Hans Zimmer a su réunir autour de lui, autour de sa personne et autour de son style, dans le but de créer des musiques à nulle autre pareilles par l’ampleur, la force et la diversité.
C’est ainsi qu’après l’Allemagne de Klaus Badelt et autres Ramin Djawadi et l’Angleterre d’Henry Jackman, c’est vers l’Islande que le compositeur de Pirates des Caraïbes – Jusqu’au Bout du Monde s’est tourné pour trouver la perle rare. Atli Örvarsson associe des études classiques du plus haut niveau à une expérience de groupe de rock et une passion pour les musiques électroniques. Tout pour plaire au maître Zimmer. Tout pour nous plaire aussi…
Personnalité musicale riche et atypique, il a su composer une musique qui l’est tout autant pour la séquence de la folie du captain Jack, Multiple Jacks, tandis que notre héros délire, prisonnier qu’il est dans l’antre de Davy Jones.
Y a-t-il un psy dans la salle ?....



Comment êtes-vous entré en piraterie… pardon en musique ?
A l’origine, je suis un compositeur islandais, mais je travaille avec M. Zimmer depuis à peu près un an. J’ai commencé en jouant dans un groupe pop-rock très célèbre en Islande, Sálin hans Jóns míns. Nous avons reçu trois disques d’or et deux disques de platine. C’est là, en 1993, que j’ai décidé d’étudier la musique plus sérieusement aux Etats-Unis. J’ai donc fait mes études au Berkeley College of Music et j’ai passé ma maîtrise à la North Carolina School of the Arts. A partir de 1998, j’ai travaillé à Los Angeles. C’est ainsi que j’ai composé les musiques de The Last Confederate ou de Stuart Little 3 pour le cinéma et que j’ai collaboré avec Mike Post au niveau télévision. C’est une légende. Il a l’habitude d’inviter de jeunes compositeurs à venir étudier avec lui pendant quatre à six semaines, et c’est lui qui m’a donné ma première chance.


Comment votre collaboration avec Hans Zimmer a-t-elle commencé ?
Après mon travail avec Mike Post, j’ai signé dans la même agence que Hans, Gorfaine/Schwartz, et c’est Sam Schwartz qui m’a présenté à Hans. C’est ainsi que j’ai débuté avec lui sur The Holiday. Puis il y a eu Pirates des Caraïbes – Jusqu’au Bout du Monde, et maintenant le film des Simpson.

C’est vous qui vous êtes occupé de la schizophrénie du Captain Jack. C’est grave, docteur ?
Je me suis en effet occupé du morceau Multiple Jacks, une pièce de sept minutes qui se déroule dans l’antre de Davey Jones. La première partie est en fait basée sur le thème comique de Jack composé par Hans pour le film précédent, mais mon travail a consisté à en faire quelque chose un peu plus « avant-garde », comme venu d’un autre monde. Car Jack est au purgatoire, d’une certaine façon. Il ne fait plus partie des humains et se retrouve tout seul dans le désert, ce qui le rend complètement fou. L’idée était donc de refléter cet état d’esprit à travers la musique en utilisant le matériel thématique qui lui est propre. Et pour la seconde partie de ce morceau, j’ai voulu prendre mes distances de cet aspect mélodique tandis que Jack descend du Black Pearl et découvre les crabes qui vont ensuite mettre le bateau à l’eau pour lui. Cette pièce est sans doute la plus différente de toute la partition du film de par sa dimension électronique. L’idée était de pénétrer dans l’esprit de Jack tandis qu’il marche dans ce désert inondé de soleil et d’exprimer ce qui s’y passe. Or, c’est une scène tellement à part que nous avons voulu souligner cette distinction en faisant appel au synthétiseur agrémenté de différents effets. Gore a vraiment encouragé cela et m’a même poussé à être aussi innovant que possible.


Comment s’est passée la création de cette musique insolite ?
C’est la toute première scène du film que j’ai vue. J’étais encore en train de travailler sur The Holiday quand Hans est venu me la montrer. C’était en octobre-novembre de l’année dernière. Hans et moi avons une chose en commun : nous sommes tous les deux de grands fans d’Ennio Morricone. Quand il m’a confié cette scène, il m’a simplement invité à prendre les musiques les plus « avant-garde » d’Ennio comme source d’inspiration. J’ai tellement écouté de musiques d’Ennio que c’était naturel pour moi. A partir de là, je suis parti sur cette musique comme une musique de cirque, avec une touche de Nino Rota. C’était mes références de départ, puis j’ai essayé d’oublier tout cela pour trouver quelque chose de vraiment personnel. J’ai imaginé ce mélange entre des instruments acoustiques et électroniques. Du côté acoustique vous avez le banjo, la harpe, l’accordéon et un peu de cordes en pizzicato et de l’autres des sonorités de synthèse tirées pour partie de la bibliothèque de sons de Hans et pour partie créés par moi à partir du système Absynth, sur une base de guitare et d’effets sonores. L’idée était d’être aussi inventif que possible.


Le synthétiseur semble avoir toujours fait partie de votre langage musical ?
Absolument. J’avais douze ans quand j’ai eu mon premier synthétiseur. J’étudiais toujours la musique classique, mais j’ai toujours été passionné par l’électronique. Je pense que c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous nous entendons si bien Hans et moi. Il me semble qu’en matière de musique de film, on ne fait plus guère la distinction, plus guère de hiérarchie entre l’acoustique et l’électronique. Tous deux sont tout aussi valides et Hans demeure pour nous le maître absolu dans l’art de marier les deux. Pour ma part, dans Multiple Jacks, l’électronique s’imposait vraiment comme une façon tout à fait intéressante de souligner le contraste entre cette scène et le reste du film.

Un autre morceau très morriconien est sans aucun doute Parlay pour la scène de confrontation entre Beckett et ses âmes damnées et Jack et ses amis sur ce banc de sable au milieu de l'océan.
C’est un morceau dont Hans s’est principalement occupé, avec la partie de guitare électrique jouée par Gore Verbinski lui-même !


Vous vous êtes également occupé de la mort de Norrington.
Ce n’est pas un moment très significatif dans le film, mais il a beaucoup compté pour moi. Norrington meurt juste après avoir permis à Elizabeth de s’échapper du Hollandais Volant où elle était retenue prisonnière avec son équipage. C’est une musique d’environ 4’30 qui doit couvrir tant d’histoires différentes. Le challenge était donc de composer une pièce cohérente, mais qui raconte plusieurs histoires en même temps et saute rapidement de l’une à l’autre. C’est cela écrire de la musique : résoudre des problèmes. On a des thèmes et il faut qu’ils trouvent leur place dans la narration du film. J’aime à pense que ce morceau est en lui-même agréable à écouter, mais qu’en même temps il couvre tous les aspects de l’histoire. C’est ce qui fait que j’ai eu tant de plaisir à y travailler.


On vous doit, d’une certaine façon, une autre mort... celle de Beckett.
L’idée était de traiter sa mort avec dignité et respect car même s’il apparaît comme l’un des méchants de l’histoire, il aborde sa propre mort de façon très honorable. La musique devait refléter cela. C’est une scène très longue dans laquelle il descend les escaliers de son bateau au ralenti tandis que ce dernier est en train d’être réduit en poussière. Il fallait vraiment donner du poids à ce passage qui correspond au moment où l’issue de la bataille nous apparaît. J’ai donc essayé de trouver un son qui ait du poids et je me souviens qu’au final, nous n’avions pas loin de 700 pistes à mixer, entre l’orchestre et les chœurs. Il fallait aussi que cela soit intéressant du point de vue musical car le score devait accompagner et même soutenir cette longue descente des escaliers. C’est la raison pour laquelle je l’ai traité comme un Requiem. Je suis parti du thème de Beckett et je l’ai rendu plus lyrique et plus « tragique » dans le sens de « noble ». Je voulais qu’il y ait de l’émotion, que cela touche les gens, dans la veine du Requiem de Verdi.


Le fait est qu’on en aurait presque de la peine pour lui !
C’est l’effet recherché, c’est ce que souhaitait Hans. Vous savez, il est très fort pour trouver des idées, des approches intellectuelles originales des personnages. Je trouve très intéressante l’idée de faire en sorte que le public ressente des choses pour Beckett car, après tout, c’est un homme comme les autres qui affronte la mort avec noblesse, comme un homme.


Qu’est ce que cette expérience sur Pirates des Caraïbes représente pour vous ?
Déjà, je suis un fan de ces films, ce qui fait que j’ai été extrêmement ravi d’avoir l’opportunité de pouvoir y travailler. Mais au-delà de cela, en tant que compositeur, je dois dire que cette expérience m’a permis de faire sortir de moi des choses que je n’avais jamais eu l’occasion de pouvoir écrire. Par exemple, je n’ai jamais eu l’occasion de composer un Requiem –même si c’est un Requiem très court. Composer à une telle échelle, vivre une telle aventure, c’est unique. C’est très différent d’avoir à écrire la musique d’un téléfilm réaliste. Dans la mesure où il s’agit d’une aventure, vous avez la liberté de faire des choses démesurées. C’est ce que j’ai aimé dans cette expérience !

Avez-vous des projets en solo ?
Je viens de commencer la musique d’un film Sony qui sortira l’année prochaine, Vantage Point, avec Forrest Whitaker, Sigourney Weaver, Dennis Quaid et William Hurt. Une nouvelle aventure commence !


With special thanks to Henry Jackman.