mardi, novembre 27, 2007

MARY POPPINS - THE MUSICAL : Entretien avec le compositeur Richard Sherman

En 1938, Walt Disney découvre MARY POPPINS à travers l’émerveillement de sa fille Diane, alors âgée de 12 ans. Le livre enchante à son tour le papa qui pressent aussitôt ce qu’il peut en tirer. Presque trente ans après naissait cette féerie musicale dont la magie est due à l’inoubliable et légendaire tandem des frères Sherman. Aujourd’hui, leur œuvre atteint une nouvelle dimension, devenant une comédie musicale tant sur la scène londonienne qu'à Broadway. La rencontre de deux générations.

Plus de quarante ans après, on parle toujours de MARY POPPINS comme d'une référence. Qu'est-ce que cela vous inspire?
Cela m’inspire beaucoup d’émotion, de bonnes choses, et je suis très heureux que mon frère et moi ayons pu contribuer à ce film. Dieu bénisse Walt Disney ! Nous n’avions rien fait de très connu avant, mais il nous a fait confiance, nous a encouragés et nous a offert cette fantastique opportunité de travailler pour son studio.

Pouvez-vous nous parler du rôle des chansons dans MARY POPPINS ?
En fait, elles ont été écrites avant même le scénario. Mon frère Robert et moi avons commencé à y travailler dès le début de 1960, sous la direction de Walt Disney. Il voulait que nous trouvions le moyen de raconter une histoire en musique à partir des nombreux livres de P.L. Travers. Dans ce but, nous avons sélectionné avec Don Da Gradi une demi douzaine d’histoires que nous pensions être les plus intéressantes et pouvoir être réunies autour d’un même sujet. Il n’y a pas de lien chronologique entre les différents livres, c’est la raison pour laquelle nous avons imaginé que Mary Poppins apparaissait parce qu’on avait besoin d’elle. Les enfants manquent d’amour et d’attention de la part de leurs parents préoccupés l’un par son travail à la banque, l’autre par son engagement avec les suffragettes. Mary Poppins arrive et leur apprend à profiter de la vie pour ce qu’elle est et montrer aux parents que ces enfants ont surtout besoin d’amour. C’est ainsi que nous avons relié toutes ces saynètes empruntées aux livres. Mais surtout, nous avons changé la période durant laquelle se passe cette histoire. Dans les livres, il s’agit des années 1933-1935, une époque très sombre pour l’Angleterre, peu propice aux contes de fées, et nous avons décidé de la déplacer au tournant du siècle, une époque où tout était possible. Ce fut une décision arbitraire de notre part, mais elle nous a permis d’écrire dans les magnifiques styles musicaux du tournant du siècle anglais, parmi lesquels le vaudeville et autres chansons populaires. Ce n’est qu’ensuite qu’est arrivé Bill Walsh le grand artiste et producteur qui a brillamment finalisé cette ébauche de scénario, sous la houlette de Walt Disney. Par exemple, l’émeute et la fuite de la banque viennent de lui. Ce fut une belle consécration pour Walt car il a utilisé dans ce film le meilleur de tout ce qu’il avait pu réaliser par le passé. Et pour nous, c’est le film qui nous a véritablement lancés, Bob et moi, et nous a permis de continuer à écrire des chansons pendant encore de très nombreuses années !


Comment définiriez-vous le style des chansons de MARY POPPINS ?
Le plus important, c’est la période, l’époque. Dans le film, nous sommes dans les années 1910, juste avant que le monde ne sombre dans la guerre. De fait, notre style est celui de l’innocence. Je pense que c’est le terme le plus évocateur. Musicalement, il n’y a rien de sophistiqué, notamment dans l’harmonie, pas d’accord de neuvième altérée ou autre. C’est vraiment très doux. Une innocence et une simplicité qui s’accompagnent d’un petit grain de fantaisie et d’esprit. Nous ne voulions pas dire les choses de front comme « souriez ! », mais plutôt de façon simple et imagée : «c’est le morceau de sucre qui aide la médecine à couler»…


L’idée d’une comédie musicale sur scène ne date pas d’hier.
C’est une idée qui trottait depuis de nombreuses années dans la tête du producteur Cameron Mackintosh ainsi que de Michael Eisner, mais ce ne fut pas possible pendant un certain temps car Pamela Travers ne souhaitait pas que la version scénique de Mary Poppins soit tirée du film américain. Le monde entier a adoré et adore toujours ce film, mais pas elle !


Cela ne fut d’ailleurs pas facile pour Walt Disney non plus d’obtenir les droits des livres pour en faire un film !
Cela lui a pris presque 20 longues années! Il avait eu cette idée dans les années quarante, et ce n’est qu’en 1961 que les choses se sont débloquées et que nous avons été mis sur le coup. En tant que staffwriters, nous avons pu développer ce projet tranquillement pendant deux ans avec Don entre nos différents projets, jusqu’à ce que Walt considère que nous avions une histoire solide et un nombre suffisant de chansons pour explorer ces aventures. Au bout du compte, nous avons écrit pas moins de 35 chansons, pour n’en garder plus que 14 ! Mais je suis heureux que ce soit vraiment les chansons essentielles qui ont été gardées, tant pour le film que pour la comédie musicale.


Comment s’est passée votre rencontre avec George Stiles et Anthony Drewe, le compositeur et le parolier des nouvelles chansons de la comédie musicale ?
Ce fut une merveilleuse rencontre. Je me suis rendu en Angleterre à l’invitation de Tom Schumacher, le brillant responsable de toutes les comédies musicales de Disney, et de Cameron Mackintosch pour rencontrer George et Anthony. C’était chez Cameron Macintosh. Ce sont deux artistes absolument merveilleux tant du point de vue humain que musical, des personnes très sensibles et adorables. Et en plus d’être charmants, ils ont écrit des chansons extraordinaires, tant originales que développant nos propres thèmes afin de s’intégrer dans le nouveau livret du spectacle. J’aime beaucoup ce qu’ils ont fait. C’est un bon mariage entre les deux.


N’aurait-il pas été possible d’utiliser certaines de vos chansons non utilisées dans le film ?
Le livret était trop différent. Certaines histoires sur lesquelles nous avions travaillé à l’époque ont été totalement abandonnées, et d’autres histoires de P.L Travers ont été employées. Julian Fellowes a fait un remarquable travail d’adaptation, opérant une véritable fusion entre les livres et le film, et développant notre matériel original avec beaucoup de tact. Ce fut un développement de plusieurs années.


Les nouvelles chansons s’intégrent parfaitement avec le matériel original du film.
Je le pense aussi. On ne sent pas la différence, c’est comme si c’était les mêmes personnes qui avaient travaillé à l’ensemble, et j’ai été absolument ravi de cela ! C’était très important. Je pense que cela est notamment dû au fait que George et Anthony ont su montrer beaucoup de respect par rapport à ce que nous avions fait à l’origine. George m’a confié que c’est CHITTY CHITTY BANG BANG qui lui a donné l’idée et la passion de faire du piano. C’est un beau compliment et cela m’a énormément touché. Je ne dirai jamais assez à quel point j’apprécie ces deux gentlemen!


Qu’avez-vous ressenti quand vous avez découvert les nouvelles chansons ?
Cela fait une drôle d’impression d’entendre des chansons qui sonnent comme si c’était vous qui les aviez écrites. C’est pour cela que j’ai dit à George, Anthony et Tom : « j’ai pas mal travaillé, non ? ». Ce fut à la fois une grande joie et un grand soulagement car je voulais vraiment que ce soit bon. Contractuellement, il ne nous était pas possible d’écrire de nouvelles chansons comme nous l’avons fait sur CHITTY CHITTY BANG BANG, mais les producteurs ont su trouver l’équipe de compositeur et parolier qui ressentait les choses exactement de la même façon que nous.


Difficle de rester insensible à la magie de cette comédie musicale!
C’est un spectacle très émouvant. Il ne s’agit plus seulement des enfants, mais d’une leçon pour toute la famille, sur le fait d’être ensemble et de partager. Très sincèrement, c’est l’une des plus remarquables et enthousiasmantes productions qu’il m’a été donnée de voir ! C’est une véritable œuvre d’art.

vendredi, novembre 23, 2007

IL ETAIT UNE FOIS : Entretien avec le réalisateur Kevin Lima

Il n’a pas fallu longtemps à Kevin Lima pour se faire un nom dans le monde du cinéma, et de Disney en particulier.
A cinq déjà, Kevin Lima sait qu’il sera animateur après avoir lu un livre de Preston Blair sur la question. Durant ses études, il signe plusieurs bandes-dessinées pour les journaux de ses écoles. Mais son intérêt pour l’animation prend véritablement son essor quand il découvre l’art des marionnettes. Pendant huit ans, il travaille avec une troupe qui lui permet d’explorer toutes les dimensions de la création d’histoires pour les enfants. Il entre ensuite à l’Emerson College de Boston, et surtout à Cal Arts. Son diplôme en poche, il est recruté par Disney pour travailler sur le projet « Sport Goofy ». Après quelques productions indépendantes comme LE PETIT GRILLE-PAIN COURAGEUX, il participe à tous les longs-métrages d’animation de Disney allant d’OLIVER & COMPAGNIE au ROI LION. Il fait ensuite une petite pause durant laquelle il met en scène des pièces de théâtre avant de revenir chez Disney. Il n’a que 33 ans et déjà il réalise DINGO ET MAX. Suivront alors TARZAN, 102 DALMATIENS, ELOÏSE et ELOÏSE AT CHRISTMASTIME pour Disney Channel et aujourd’hui l’éblouissant IL ETAIT UNE FOIS.
Une carrière impressionnante au service du rêve qu’il a bien voulu évoquer avec nous, avec son tout dernier film en guise de point d’orgue...
IL ETAIT UNE FOIS… Kevin Lima!

Vous êtes considéré comme l’un des principaux acteurs du renouveau de Disney après les difficultés des années 80. Comment le ressentez-vous ?
Je ne me suis jamais considéré en ces termes. Nous faisons simplement les films dont nous rêvons. La plupart d’entre-nous ne faisons que réinterpréter ce que nous aimions lorsque nous étions enfants. Et cela est particulièrement vrai dans mon cas. Je fais des films sur des choses qui m’ont marqué à l’époque, et j’exprime cela sous la forme que je pratique maintenant en tant qu’adulte. Nous puisons dans notre passé et nous le portons tout simplement à l’écran.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours chez Disney avant de réaliser DINGO ET MAX (A GOOFY MOVIE) ?
A la base, je suis un animateur. Mais j’ai fait énormément de choses différentes pendant ces années à Disney. Je ne suis jamais resté à un poste très longtemps. J’ai été l’un des animateurs de Fagin sur OLIVER & COMPAGNIE. Puis j’ai participé au design de certains personnages de LA PETITE SIRENE (Ursula, Polochon), LA BELLE ET LA BÊTE (Lumière) et ALADDIN pour lequel j’ai également participé à l’élaboration de l’histoire. J’ai ensuite travaillé au développement visuel du ROI LION avant de quitter le studio.

Comment en êtes-vous venu à diriger DINGO ET MAX (1995) ?
Je suis voir les dirigeants de Disney et je leur ai fait part de mon désir de mettre en scène un film. J’avais dans le passé mis en scène des pièces de théâtre et j’ai également été marionettiste pendant mes études au lycée. C’était vraiment ce que je voulais faire. Je ne peux pas me contenter de faire une seule chose à la fois, j’aime bien mettre la main à la pâte dans les différentes disciplines de l’animation. C’est pourquoi j’ai pensé que ce serait intéressant de diriger un film. Or, quand j’ai demandé à Disney si je pouvais espérer quelque chose dans ce domaine, ils m’ont dit qu’il y avait peu de chance pour cela dans la mesure où ils ne produisaient qu’un film par an et qu’ils avaient tous les réalisateurs dont ils avaient besoin pour les nombreuses années à venir. J’ai donc quitté Disney et je suis allé travailler pour un autre studio appelé Hyperion Productions. J’ai participé au développement de deux films qui ne sont finalement jamais sortis, dont une version de Poucelina. C’est alors que j’ai reçu un coup de fil de Walt Disney Television Animation qui me demandait de faire DINGO ET MAX. J’y ai vu une formidable opportunité non seulement de pouvoir raconter une histoire qui m’intéressait, mais également de pouvoir enfin m’essayer à la direction d’un film d’animation. C’est pourquoi j’ai accepté de participer à ce projet.

Dans quelle mesure votre expérience de marionettiste vous a servi en tant qu’animateur et que réalisateur ?
Je suis devenu apprenti marionnettiste dans une compagnie de Rhodes Island appelée « The Puppet Workshop » à l’âge de 12 ans. Je pense que cela m’a donné l’opportunité d’explorer tous les aspects de la création d’une histoire dans la mesure où nous créions et improvisions nos propres histoires. Nous fabriquions toutes les marionnettes, les personnages volants, tout ce qui participait à bien raconter une histoire. Ce fut une sorte de tremplin car cela m’a permis de pratiquer toutes ces formes de narration très tôt. Cela m’a fait comprendre que je voulais travailler dans le domaine du divertissement pour enfants et le fait de jouer et rejouer devant ce public m’a permis de me faire une idée précise de ce que c’est.

Comment décririez-vous le concept de DINGO ET MAX ?
C’est avant tout une comédie familiale. Je me suis dit : « Pourquoi ne ferions-nous pas un film à la John Hughes en animation ? Pourquoi ne pas traiter des thèmes qui préoccupent les enfants et les adolescents comme dans ses films ? ». Je voulais quelque chose de plus actuel, de plus contemporain par rapport aux films Disney traditionnels de cette époque et ce, particulièrement à travers les chansons. J’ai fait particulièrement attention au choix des voix. Par exemple, comment trouver la bonne voix chantée pour Max, qui est un jeune adolescent en pleine croissance, et à l’inverse, comment trouver une bonne voix chantée pour Dingo, qui représente exactement l’opposé de ce que vivent les adolescents aujourd’hui ? Nous avons donc apporté un soin particulier à cette opposition. En fait, l’idée du film était de reprendre ce qui était fait de façon classique par Walt Disney Feature Animation mais en le rendant quelque part plus contemporain.

Vous êtes-vous inspiré de votre expérience personnelle ?
J’ai toujours souhaité mettre une partie de moi-même dans mes films. Même si c’est un classique comme TARZAN, j’ai fait en sorte de me l’approprier et d’y mettre un peu de mon expérience personnelle. A première vue, on peut rire de certains sujets comme pour DINGO ET MAX. On se dit, c’est un film sur un adolescent, on va bien rire. Mais c’est surtout un film sur ce que c’est d’être père. C’est quelque chose de très profond. La famille est quelque chose de très important pour moi.

DINGO ET MAX est votre premier film en tant que réalisateur, et vous étiez seul aux commandes. Pensez-vous qu’il soit plus difficile ou plus intéressant d’être seul sur un tel projet ?
Il y a deux façons différentes de faire des films. Quand vous êtes seul, tout repose sur vos épaules, vous ne pouvez partager ce poids. Ce qui me fait dire que cela dépend de la taille du film. Bien que la production de DINGO ET MAX ait duré autant de temps que TARZAN, c’était un film plus petit, plus facile à diriger, et surtout il y avait moins d’artistes qui y travaillaient. Nous étions plus proches, nous n’avons pas fait appel à différents studios à travers le monde. Nous avons tout fait en France. J’ai donc dû venir à Paris et travailler avec cette équipe. A tout moment de la production de TARZAN il y avait 400 artistes qui y travaillaient, ce qui rend les chose plus difficiles. Et si vous voulez préserver un minimum de vie privée en dehors du travail, vous êtes obligé de co-réaliser un film de cette importance ! J’ai donc vraiment voulu avoir un co-réalisateur, Chris Buck, avec lequel je sois en total accord. Il serait incroyablement difficile de travailler si les deux réalisateurs n’imaginaient pas le même film. Dans ce cas, ce serait un désastre à plus d’un titre.

Comment en êtes-vous venu à TARZAN ?
Au moment de terminer DINGO ET MAX à Paris, j’ai reçu un coup de fil de Jeffrey Katzenberg me disant qu’il voulait que je fasse un film sur Tarzan. Il voulait le faire faire par Walt Disney Television Animation, et plus précisément par un studio qu’il voulait ouvrir au Canada pour le projet. Je lui ai dit qu’il était fou, qu’ouvrir un nouveau studio avec des artistes qui n’ont jamais travaillé ensemble et leur demander d’animer un homme à moitié nu serait impossible et qu’il ne serait jamais satisfait du résultat. Alors il m’a appelé tous les deux deux jours pendant deux semaines puis j’ai lu dans Variety qu’il venait de quitter Disney. Ce fut une grande surprise et j’ai pensé « Voilà ma chance qui s’en va ; je ne réaliserai sans doute plus jamais d’autre film chez Disney », car Jeffrey était celui qui a cru en moi au départ et qui a soutenu mon parcours. Et dans la mesure où Walt Disney Feature Animation m’avait dit qu’ils avaient tous les réalisateurs dont ils avaient besoin, je m’apprêtais à chercher de nouveau du travail ailleurs. C’est alors que j’ai reçu un appel de Michael Eisner qui m’a dit « Nous allons produire TARZAN à Walt Disney Feature Animation et nous voudrions que vous le fassiez. » Cela fit toute la différence ! J’ai tout de suite accepté parce que cette fois toutes les conditions étaient réunies pour donner vie à cette histoire.

L’une des inovations de TARZAN réside dans le traitement visuel des chansons, très proche du montage (Two Worlds, Son of Man) ou du vidéo-clip (You’ll Be In My Heart).
Je pense vraiment que le langage cinématographique moderne, y compris le vidéo-clip, nous a profondément influencé pour ce film. Le fait d’avoir un chanteur pop, qui chante vraiment des chansons pop dans le film imposait un rythme différent du style Broadway pour créer un langage cinématographique propre à chaque pièce. TARZAN est un film basé sur l’énergie et le mouvement et nous voulions que cela se ressente en particulier à travers les chansons. Les chansons ont aussi un rôle différent : elles nous font avancer dans le temps. Son Of Man (Enfant de l’Homme) commence alors que les personnages ont 5 ans, et les fait passer à l’âge adulte. Dans le cas de Strangers Like Me (Je Veux Savoir), Tarzan ne sait d’abord rien du monde des humains et finit par comprendre ce que c’est d’être un homme. Les chansons permettent un saut gigantesque dans le temps. Elles rendent la narration plus souple. Et cette dimension a grandement influencé la façon dont le film a été storyboardé et monté.

Puis vous passez au cinéma en prises de vue réelles avec 102 DALMATIENS.
En fait, je voulais vraiment faire un film en prises de vue réelles après TARZAN, mais je n’ai pas choisi de faire 102 DALMATIENS. Je venais de finir TARZAN et je lisais des scénarios quand Peter Schneider, qui venait de quitter le département de l’animation pour celui des films en prises de vue réelles, m’a appelé en me disant qu’il voulait que je fasse ce film. J’ai lu le scénario et je lui ai répondu que je ne pensais pas pouvoir le faire. Je ne me sentais pas capable de diriger la suite d’un remake. Je n’avais pas cela en moi. Assez étrangement, tous les gens que je connaissais me disaient que je faisais là une grosse erreur, que c’était une chance extraordinaire dans ma carrière. Mais je refusais toujours. C’est alors que Glenn Close m’a appelé. Elle faisait la voix de Kala dans TARZAN et elle m’a dit : « Kevin, je voudrais que tu fasses ce film. » C’est ce qui m’a finalement convaincu. J’avais l’opportunité de travailler avec une actrice de classe internationale, quelqu’un que je respecte énormément et qui ne m’a pas considéré de la façon dont les actrices considèrent habituellement les réalisateurs débutants. Sa présence m’a donné confiance en moi. Elle fut en quelque sorte mon mentor sur le film. A chaque fois qu’un problème se présentait, j’allais la voir et elle m’aidait énormément. Finalement, ce n’est pas moi qui ait choisi le film, c’est le film qui m’a choisi !

C’est Cruella qui vous a choisi !
Vous avez raison : Cruella D’Enfer a choisi Kevin Lima pour faire son film !

Vous a-t-elle fait changer d’avis sur ce film ?
Ce fut une expérience très difficile pour moi parce que le scénario ne me parlait pas vraiment au coeur. Si vous regardez mes deux précédents films, vous pouvez voir qu’ils parlent de la création d’une famille, de la relation entre un père et son fils, de la dynamique moderne de la famille, autant de thèmes qui me touchent de très près. On ne retrouve pas ces thèmes dans 102 DALMATIENS. Je voulais ré-écrire certaines parties du scénario pour y mettre des choses plus personnelles afin d’avoir une relation plus émotionnelle avec le film, mais cela n’a pas pu se faire. Je l’ai donc considéré comme une première expérience en tant que réalisateur de film en prises de vue réelles. Et le résultat fut mitigé pour moi. Dans ce film, j’adore le travail qui a pu être réalisé avec les chiens, en particulier pour le début de la relation de Prunelle (Oddball) avec sa famille. Je suis aussi heureux d’avoir pu créer un début intéressant pour Cruella, avec ce renversement. Mais le film ne parle pas à mon coeur. C’est pourquoi je recherche actuellement quelque chose qui me ressemble davantage. Mais je suis très heureux qui ait reçu un bon accueil du public français.

Quelle fut votre approche de ce film, considérant le fait que vous veniez de l’animation ?
Pour moi, 102 DALMATIENS est un dessin-animé en prises de vue réelles.

Les productions actuelles montrent bien que la frontière entre l’animation et le film en prises de vue réelles devient de plus en plus difficile à saisir. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est tout à fait exact. Cette frontière devient de plus en plus vague. Aujourd’hui, on voit sortir un grand nombre de films qui sortent en prises de vue réelles, et qui n’auraient pas pu il y a quelques années seulement, et ce, grâce à l’animation. Je trouve cela passionnant, cela élargit considérablement les possibilités du cinéma. C’est exactement la façon dont j’aimerais travailler, avec un pied dans chaque monde, l’un dans l’animation, l’autre dans la prise de vue réelle. Je pense que nous allons voir de plus en plus de personnages qui n’existent pas dans le monde réel et qui nous paraîtront pourtant réels. Quand vous pensez à des films comme LE SEIGNEUR DES ANNEAUX ou HARRY POTTER, la plupart d’entre eux n’auraient pu être faits que sous la forme de dessins-animés il y a dix ans. Cela permet d’explorer tout l’imaginaire des dessins-animés, mais d’une façon différente, et d’attirer par la même occasion un public plus nombreux car les dessins-animés sont plutôt considérés comme des films pour enfants dans le monde occidental, au contraire des films en prises de vue réelles. Ce rapprochement entre animation et prises de vue réelles permet donc de raconter ce type d’histoires sous forme réelle et de recevoir l’agrément d’un plus large éventail de spectateurs. Cela ouvre de grandes portes.

En parlant de film en prises de vue réelles, quels sont vos goûts en la matière?
Je dirais que mes films préférés se rapportent de près ou de loin à la famille, et la à dynamique de la famille. Je pense notamment à TO KILL A MOCKINGBIRD (1962), ou SEARCHING FOR BOBBY FISHER (1993). J’aime aussi particulièrement les films de Terry Gilliam parce qu’ils parlent à l’enfant qui se trouve dans chaque adulte. Il n’a pas peur d’agir comme les enfants, ce que je trouve très intéressant.


Quelques années plus tard, on vous retrouve sur deux nouvelles productions Disney, ELOÏSE et ELOÏSE AT CHRISTMASTIME. De quelle façon êtes-vous arrivé sur ce projet?
J'ai lu dans Variety que Denise Di Novi était sur le point de produire une version du livre pour ABC et je l'ai appelée en lui disant : "je veux absolument diriger ce film!". Je pense que ce qui l'a intéressée, c'était d'avoir quelqu'un qui avait un réel intérêt pour ce travail et qui avait une expérience cinématographique.

Julie Andrews campe justement une Nanny absolument merveilleuse... et inattendue!
Quand je suis arrivé sur le projet, on m'a dit qu'elle était intéressée et ma première réaction a été de penser que ce serait un mauvais choix. J'avais peur de son image. Elle avait incarné la plus célèbre nounou du monde, "pratiquement parfaite en tout point" et cela risquait de planer perpétuellement au-dessus de ce nouveau rôle. C'est la raison pour laquelle, quand je l'ai rencontrée pour la première fois, je lui ai demandé à quel point elle désirait incarner la nounou du livre, en un sens, l'anti-Mary Poppins. Or, c'était précisément ce qu'elle voulait, rompre avec cette image et en prendre le contre-pied pour incarner vraiment le personnage du livre, qui est loin d'être parfait. Elle boit ; dans le livre, elle fume également ; elle n'est pas très attentive – elle regarde la télé tandis qu'Eloise fait les quatre cents coups dans l'hôtel. A partir de là, la question est devenue : comment part-on de toutes les choses merveilleuses qui font Julie et de son talent pour les ajouter à la Nanny du livre? La première réponse fut : en la transformant physiquement. Julie est vraiment une très belle femme, ce qui fait que nous avons dû modifier sa silhouette. Elle porte une prothèse pour avoir une grosse poitrine et un gros fessier et lui donner cette allure de pigeon ainsi qu'une perruque avec des cheveux gris constamment en désordre, de sorte qu'elle apparaisse totalement différente de toutes les nounous qu'elle a jouées –car la coiffure de Mary Poppins est toujours impeccable. Puis nous avons parlé des origines de Nanny, pour mieux cerner sa personnalité, et nous avons pensé qu'elle pourrait être cockney, ce qui lui donne cet accent, prétexte à toutes sortes de situations et de malentendus, principalement dans le deuxième film, ELOISE AT CHRISTMASTIME. De plus, nous avons voulu lui donner une démarche particulière : elle marche comme un homme, ses bras s'agitent sans arrêt et elle s'assoit de façon négligée. Tout cela vient des illustrations, et c'est ainsi que nous avons recréé la Nanny du livre, plus vraie que nature! Dans ces conditions, j'étais convaincu que Julie était vraiment la personne idéale pour incarner ce personnage. Il y a une autre chose merveilleuse à propos de Julie Andrews, c'est qu'elle apporte tant de vie sur un plateau. Tout le monde était aux anges de travailler avec elle! Qui plus est, beaucoup des gens de talents qui ont participé à ce film y sont venus précisément à cause de Julie. Ils se sont dits : si Julie Andrews fait partie de ce projet, c'est qu'il doit être très spécial. Il faut que j'en sois! C'est ainsi que beaucoup d'artistes du monde du cinéma sont venus travailler à ce téléfilm. Elle venait chaque matin sur le plateau pour dire bonjour à tout le monde, et chaque matin elle m'embrassait en me disant : "How are you today, my love?". Alors, mon coeur était rempli de joie car cette femme que j'admire tant me disait tous les matins qu'elle m'aimait! Je ne touchais plus terre pendant quelques minutes en me disant : "Mary Poppins loves me!" Et cela a apporté beaucoup d'effervescence et de joie au film. Je n'ai jamais été aussi ému et excité à la fois de travailler avec quelqu'un.

Dans ce film, la relation entre image et musique est typique de l'animation.
A bien des égard, ELOISE est un "film d'animation en prises de vue réelles"! Beaucoup des choses qui s'y passent sont caractéristiques du monde de l'animation, et les personnages sont presque des caricatures, comme dans des cartoons, et expriment sans ambiguité leurs sentiments. De plus, étant inspiré d'un livre et basé sur ses illustrations, j'ai voulu retrouver cet esprit dans le film. La musique aide aussi beaucoup à exprimer ce qu'ils ressentent. Il y a une sorte de pureté dans la musique de films d'animation qu'on ne retrouve pas en prises de vue réelles. La voix musicale d'un dessin-animé est aussi bien plus émotionnelle, et elle participe beaucoup plus à l'histoire, elle l'incarne véritablement. Quand j'entends la musique d'un dessin-animé de Disney, cela me rappelle le film immédiatement, jusqu'au moindre mouvement, jusqu'à la moindre couleur.

Couleurs des décors, couleurs de la musique : rien ne vous échappe et l’on sent que vous maîtrisez vraiment tous les aspects du langage cinématographique.
C'est vrai. Tout est fait pour soutenir l'émotion des personnages de façon très forte. Du point de vue des couleurs, les livres sont basés sur le noir et le blanc, le rouge et le rose. Nous sommes partis de là et nous nous sommes demandés comme utiliser au mieux cette palette. C'est ainsi que nous avons coloré son monde en rose. J'en ai alors parlé au compositeur Bruce Broughton et je lui ai dit : "la musique doit sonner 'rose'.Comment rendre musicalement la vibration de cette couleur?" Et il a trouvé comment le faire. Et nous avons essayé de renforcer les couleurs de l'hôtel de la même façon que nous avons renforcé les couleurs de la musique. C'est une façon de dramatiser tous les aspects du film. J'adore faire cela. Quand on crée un monde, il faut s'intéresser à toutes les dimensions qui le composent. Si un seul détail sonne faux, c'est tout l'édifice qui en est affecté. Et si vous voulez que les émotions sonnent vraies, vous devez renforcer tous ces aspects : les personnalités, les couleurs et la musique. Aucune pièce du puzzle ne doit être laissée de côté et que chaque collaborateur doit être pleinement impliqué. Je n'ai pas seulement parlé à Bruce de ce à quoi la musique devait ressembler, mais également du style de jeu des acteurs, de la direction artistique, afin qu'il soit pleinement conscient de tous mes choix et qu'il puisse les mettre en forme dans sa musique. Du point de vue des couleurs, la chambre de Nanny est bleue, celle d'Eloise est rose et la pièce qu'elles partagent est faite de tonalités atténuées des deux couleurs : c'est une pièce commune. Et nous avons également parlé de cela en musique. Quel est le thème de Nanny? Quel est le thème d'Eloise? Qu'arrive-t-il à ses deux thèmes quand ils sont joints? Comment adapter le thème d'Eloise quand elle est dans les bras de Nanny? Je parlais ainsi de la même façon au directeur artistique, au production designer ou à la créatrice des costumes de la même façon que je parlais à Bruce.


A ce titre, IL ETAIT UNE FOIS semble la suite logique de votre parcours !
A bien des égards, c’est le film idéal pour moi. J’ai découvert LE LIVRE DE LA JUNGLE à l’âge de 5 ans, et c’est à partir de là que j’ai voulu faire de l’animation. Et, j’y suis arrivé finalement ! J’ai été marionnettiste, j’ai fait du théâtre, ce qui me prédestinait déjà au cinéma en prises de vue réelles, puis je suis entré dans le métier de l’animation, après une formation très classique. Après TARZAN, qui est selon moi le meilleur film d’animation que je pouvais faire, j’ai voulu évoluer. J’ai donc dirigé plusieurs films en prises de vue réelles, et maintenant j’ai la possibilité de marier les deux arts ensemble. Je ne peux imaginer de meilleures manières de passer le reste de ma carrière : explorer comment ces deux mondes peuvent interagir.

Cela fait pas mal d’années que l’on entend parler de ce projet. Pourquoi cela fut-il si long ?
J’aimerais bien savoir pourquoi cela a mis si longtemps parce que pour moi, tout s’est enchaîné naturellement. Cela faisait déjà six ans que Disney travaillait sur ce film avant que je sois impliqué. Je pense qu’ils avaient du mal à trouver le bon ton pour ce film : quel devait être le degré de parodie ? Comment la faire différemment de SHREK ? Jusqu’à quel point le film devait être dramatique ? Je pense que c’est cela qui a pris du temps. Plusieurs réalisateurs s’y sont essayés. Quatre réalisateurs et cinq scénaristes durant cette période, tous ayant tenté de trouver la solution.

Comment l’avez-vous découvert ?
Je suis tombé sur cette histoire en 2001 et je suis allé voir les gens de Disney pour leur dire que c’était vraiment un film pour moi. Je venais de finir 102 DALMATIENS, et s’il ne fallait faire qu’un film Disney, c’était celui-ci ! Il associe animation et prises de vue réelles. Or, il se trouve que je comprends l’animation Disney, j’adore l’animation classique Disney. Ce film était vraiment pour moi ! Mais à cette époque, je pense qu’ils ont considéré que j’étais trop sentimental. J’aimais trop ce film ! Ils m’ont donc dit qu’ils voulaient que leur film soit plus sombre. Puis, cinq ans plus tard, je suis revenu à la charge : « Comment cela se passe-t-il sur IL ETAIT UNE FOIS ? Je pense toujours que je pourrais y faire de grandes choses ! » A cette époque, ils venaient d’avoir le nouveau script de Bill Kelly. C’est lui qui avait écrit le traitement original. Il l’a écrit en tant que « spec script », ce qui veut dire qu’il l’a écrit de lui-même sans être payé. Puis, il l’a vendu à Disney qui le lui a immédiatement retiré pour le faire développer par un groupe d’autres auteurs. Bill est revenu six ans après avec une nouvelle version de l’histoire et là Disney s’est dit que c’était exactement ce qu’ils souhaitaient faire. J’ai eu beaucoup de chance de demander à Disney à ce moment où ils acceptaient ce nouveau script et s’apprêtaient à chercher un réalisateur pour le mettre en scène. J’ai donc fait le pitch pour moi-même en leur disant la vision que j’avais du film et le désir que j’avais de la faire. Je venais de leur donner un coup de main sur THE WILD. J’étais donc dans la maison au bon moment et mon rêve est devenu réalité !


Comment avez-vous « ouvert le bal »?
J’ai travaillé avec Bill Kelly sur le scénario durant neuf mois pendant lesquels il a grandi et s’est développé à partir du concept original : l’idée d’une Princesse Disney qui débarque dans le monde réel. Mais je pense que je lui ai apporté un vrai sens de l’hommage et un amour du matériel d’origine. Une compréhension profonde de ce que veut dire « être un personnage Disney » et de la façon de le confronter au monde réel.


Dans ce film, on retrouve toutes les formes d’animation combinées.
Absolument. L’animation traditionnelle en 2D ouvre le film et présente les personnages de façon très idéaliste. Puis vient l’animation 3D, lorsque les personnages arrivent dans le monde réel. On trouve ainsi deux animaux animés qui doivent fonctionner dans notre monde. D’un côté, il y a Pip, un petit écureuil, qui dans le monde réel, ressemble à un véritable écureuil mais se comporte comme un personnage de cartoon. Et, de l’autre à la fin du film, Narissa se transforme en dragon comme Maléfique. Elle reste un personnage de dessin-animé. Elle ne perd jamais sa dimension disneyenne. Elle ne se transforme pas en un monstre baveux car ce ne serait pas Disney. C’est un personnage à part entière, qui parle, qui pense, qui a une vraie personnalité.


Cela fait vraiment penser à MARY POPPINS !
Vous avez tout à fait raison, et je vous avouerai que c’était mon but de faire un MARY POPPINS moderne. Mon rêve depuis le début, c’était de faire un film en prises de vue réelles qui possède la sensibilité d’un dessin animé, le tout pour un public d’aujourd’hui.

IL ETAIT UNE FOIS mélange également les codes de l’animation traditionnelle, ceux de la comédie romantique et ceux des films d’aventure. Comment êtes-vous parvenu à trouver un équilibre entre toutes ces contraintes très spécifiques ?
Je n’ai pas dormi, voilà comment ! En fait, ce que j’ai fait, c’est me replonger dans les classiques de Disney, comprendre comment ils réussissaient à marier tous ces genres très différents ! Parce que très, très souvent dans ces films, particulièrement ceux de la Renaissance de Disney comme LA PETITE SIRENE ou LA BELLE ET LA BÊTE, les créateurs ont eu tendance à jouer sur ces différents tableaux. Vous savez, ce film est une comédie romantique, une comédie musicale, un film d’action et d’aventure et un mélange d’animation 2D et 3D : tout cela réuni en un film. C’est la raison pour laquelle je suis allé revoir ces classiques et les ai utilisés dans ma structure. Cela m’a donné confiance dans le fait que je pouvais concevoir un mélange équilibré. Ce ne fut pas facile, je dois l’avouer et j’ai souvent eu peur que cela ne marche pas, que le film soit trop « premier degré », qu’il plonge trop du côté de la comédie romantique ou qu’il perde ses références à l’animation Disney. Mais je n’avais qu’à travailler encore et encore sur le matériel d’origine et cela marchait. C’est aussi dans cet esprit que j’ai storyboardé moi-même tout le film. Je l’ai fait parce que je voulais vraiment comprendre comment toutes les pièces s’articulent et s’emboîtent. Cela m’a apporté une certaine sécurité dans le travail.

Avez-vous storyboardé votre film comme un dessin animé ou comme un film en prises de vue réelles ?
Pour certaines choses, j’ai travaillé comme pour un dessin animé, disséquant chaque seconde de chaque numéro. C’est ainsi que j’ai procédé pour Happy Working Song par exemple, car je savais que je voulais une action très précise. Ceci dit, je n’ai pas fait cela sur la totalité du film. Il y avait des moments pour lesquels je n’ai utilisé le storyboard que pour bien comprendre la dynamique d’une scène et les buts de chacun des personnages, parce que je suis avant tout un artiste visuel et parfois il m’est difficile de me représenter les choses uniquement à travers les mots, à travers un script écrit. Quelque part, mon storyboard était comme une répétition en costumes. A partir de là, je pouvais affronter la journée de tournage avec une certaine confiance parce que j’étais bardé d’informations et je pouvais ainsi me permettre plus de libertés, une véritable collaboration avec les acteurs, et faire évoluer, faire vivre chaque scène dans l’instant. J’ai donc intégré cette façon de faire typique du cinéma en prises de vue réelles dans mon processus. En résumé, je dirai que j’ai procédé des deux manières, comme en animation et comme en prises de vue réelles, en fonction du type d’action que je souhaitais à l’écran.

En parlant des relations entre animation et prises de vue réelles, l’animation est une caricature de la réalité. Comment avez-vous dirigé votre film par rapport à cet aspect ? En d’autres termes, quelle fut votre attitude par rapport au fait que des personnages comme Giselle viennent d’un monde de dessin animé, mais en même temps doit trouver sa place dans le monde réel. Comment avez-vous dirigé vos acteurs dans ce sens ?
Mon Dieu ! C’est une question très complexe car vous touchez vraiment au cœur du film et à la raison pour laquelle il fonctionne si bien. Une partie de cette réussite vient du casting, je dois l’avouer. Je devais vraiment trouver les bons acteurs, des acteurs qui sauraient investir totalement les personnages, investir leur voyage intérieur, et non pas les juger, si vous voyez ce que je veux dire. Je voulais qu’ils soient capables de vivre dans le corps d’un personnage animé, sans songer à juger leur jeu d’acteur pendant qu’ils jouaient. Il ne fallait pas que Giselle pense à elle, ait conscience d’elle et pour cela il ne fallait pas que l’actrice trouve Giselle ridicule dans son comportement. Ce qu’il y a de merveilleux chez Amy Adams, c’est qu’elle n’a jamais oublié qu’elle jouait. Elle s’est totalement faite à l’idée que Giselle pense en deux dimensions, qu’elle croît en ses rêves de tout son cœur. Cela n’empêche pas pour autant que son personnage évolue et apprenne des choses sur elle-même, c’est même, me semble-t-il, là où réside toute la maturité de ce film. Elle ne reste pas figée tout au long du film. Elle devient une véritable femme en trois dimensions. D’une certaine façon, son chemin est celui de l’enfant à l’adulte. Au début du film, elle a une vision du monde très simpliste et idéalisée. Mais à mesure qu’elle devient humaine, qu’elle devient femme, elle développe une sensibilité bien plus complexe : elle découvre que l’on peut ressentir des sentiments et des émotions à l’intérieur de soi, que l’on peut croire à des choses à priori opposées en même temps, que l’on peut être en colère et heureux dans le même moment, et bien d’autres états émotionnels complexes.

Sur ELOISE ou 102 DALMATIENS, vous avez mis en scène un film en prises de vue réelles comme un dessin animé. Comment avez-vous procédé ici ?
Ce fut différent sur IL ETAIT UNE FOIS. Lorsque les personnages arrivent dans le monde réel, je n’ai pas imposé de vocabulaire visuel tiré de l’animation. Certes, les personnages existent en tant que personnages animés, ils ont la même sensibilité que des personnages animés, mais j’ai tourné ce film davantage comme une comédie romantique. J’ai laissé le contraste entre les deux mondes se faire tout seul.

Que ce soit sur DINGO ET MAX ou sur TARZAN, votre approche des chansons est toujours originale. Qu’en est-il ici ?
Chaque scène est une référence à un classique, chaque scène est un hommage aux films Disney. A partir de là, j’ai clairement souhaité que les chansons pointent vers les mêmes références, mais tout en les détournant. Et ce détournement vient plus précisément des paroles. De cette manière, les chansons sonnent de façon très traditionnelle dans leur contexte mais bien souvent, les paroles apportent un trait d’esprit ou apportent un commentaire malicieux sur ce qui est en train de se passer. Et par-dessus cela, l’aspect visuel apporte un nouveau détournement des classiques et un niveau supplémentaire de commentaire sur les chansons.

Peut-on espérer Qu’IL ETAIT UNE FOIS ne soit qu'un début ?…
Vous savez cela dépend totalement du public. Si le public tombe amoureux de Giselle, alors nous ferons de nouvelles choses avec ces personnages. Personnellement, j’adorerais partir pour de nouvelles aventures en leur compagnie car je pense qu’il y a encore beaucoup à dire sur la façon dont un personnage de conte de fées peut interagir avec le monde réel. C’est donc une possibilité, mais pour le moment, le destin d’IL ETAIT UNE FOIS repose totalement dans les mains du public.


With all my gratitude to Kevin, Floriane, Aude and Elodie!

Et merci à ma Gisèle à moi!

mardi, novembre 20, 2007

LE LIVRE DE LA JUNGLE EN DVD : Entretien avec le compositeur Richard Sherman

La sortie de l’édition platinium d’un grand classique est toujours l’occasion de revenir sur l’un des plus grands succès de l’histoire de Disney. Aujourd’hui, c’est au tour du LIVRE DE LA JUNGLE, le film original de 1967, le dernier supervisé par le grand Walt. Accaparé par la New York’s World’s Fair de 1964 –1965 (pour laquelle il créera notamment It’s A Small World) et par MARY POPPINS, on sentait le papa de Mickey moins présent sur des productions comme LES 101 DALMATIENS ou MERLIN L’ENCHANTEUR. LE LIVRE DE LA JUNGLE sonne donc son grand retour aux commandes pour un chef d’oeuvre qui ne restera pas sans suite puisque les personnages de Rudyard Kipling ont failli nous revenir dès 1969 avec MORE JUNGLE BOOK, ce qui sera chose faire en 1990 avec la série animée TALE SPIN / SUPER BALOO puis en 1997 avec LE LIVRE DE LA JUNGLE – SOUVENIRS D’ENFANCE et finalement en 2003 avec LE LIVRE DE LA JUNGLE 2.
Si l’on doit une grande partie de ce succès à Walt Disney, nul ne peut oublier la plus grande réussite des frères Sherman au dessin-animé.
C’est pourquoi nous accueillons ici avec bonheur le grand Richard M. Sherman, pour nous parler du film qui a fait swinger la jungle pour la toute première fois…


Comment LE LIVRE DE LA JUNGLE de Walt Disney est-il né ?
La première version de l’histoire a été créée par le grand animateur et storyman Bill Peet, qui avait auparavant travaillé sur LES 101 DALMATIENS et avec qui mon frère et moi avons collaboré pour MERLIN L’ENCHANTEUR. A cette époque, nous travaillions à beaucoup d’autres projets, à commencer par MARY POPPINS, ce qui fait que nous n’étions pas du tout concernés. La première version de Bill Peet, avec des chansons de Terry Gilkyson, était très fidèle au texte original de Rudyard Kipling, c’est-à-dire très sombre et mystérieux. Nous ne l’avons su que plus tard, mais il y eut alors une très importante discussion entre Bill Peet et Walt Disney qui a dit « ce n’est pas le film que je veux faire. Il est trop sombre et déprimant. » Bill Peet a répondu « je sais, mais c’est la façon dont Kipling l’a écrit. », ce à quoi Walt Disney a rétorqué « mais pas la façon dont Disney va le produire ! Je veux que mon film soit drôle et il n’y a rien de drôle dans cette histoire. De plus, il n’y a qu’une seule bonne chanson dans ce film. » Il s’agissait de Il En Faut Peu Pour Être Heureux, la chanson qui réunit Mowgli et Baloo, et Walt l’aimait beaucoup. Il faut dire que Terry a écrit une chanson vraiment remarquable ! Je ne sais pas combien de fois on a félicités pour l’avoir écrite!… De notre côté, mon frère et moi ne savions rien de tout cela mais, un jour, nous avons reçu un coup de fil de Walt Disney nous demandant de venir dans son bureau. Je me souviens très bien que sa première phrase fut : « Est-ce que vous connaissez Le Livre de la Jungle ? » « Oui, c’est un film anglais des années 30 avec Sabu dans le rôle de Mowgli, mais c’est tout ce que nous en savons. » Il a répondu « est-ce que vous avez lu le livre ? », chose que nous n’avions pas faite. « C’est bien, a-t-il dit, je ne veux surtout pas que vous le lisiez ! Je veux simplement que vous gardiez une chose à l’esprit : Le Livre de la Jungle est l’histoire d’un garçon élevé par des loups et qui, pour sa propre sécurité et son bien, doit retourner au village des hommes pour vivre comme eux parce qu’il a toujours vécu parmi les animaux et il ne peut plus continuer à le faire. Il est maintenant trop grand pour cela et un méchant tigre nommé Shere Khan cherche à le tuer. C’est tout ce que vous avez à savoir. Maintenant, ce que j’attends de vous, c’est de retrouver les scènes les plus sombres et mystérieuses de cette histoire et de les rendre drôles à travers des chansons. Ecrivez autant de chansons drôles que vous pouvez à l’intérieur du contexte de cette histoire. » A partir de là, nous sommes allés voir les responsables de l’histoire, notamment Larry Clemmons, avec lequel nous avons beaucoup collaboré, notamment des projets télévisuels, et Wollie Reitherman, le réalisateur, afin de trouver des moments où glisser des chansons.

Pouvez-vous nous parler de ces chansons ?
L’un des moments les plus effrayants de l’histoire originale est la scène dans laquelle les singes et leur roi enlèvent Mowgli à Baloo. C’est une expérience terrifiante pour le jeune garçon. Et nous devions rendre cela amusant. La première chose à laquelle nous avons pensé a été d’appeler King Louie « the king of the swingers », dans la mesure où il s’agit d’un singe qui a l’habitude de se balancer (« swing ») dans les arbres ! Il devait donc être un jazzman ! Par conséquent, nous avons songé à un orchestre de jazz pour les singes, avec leur roi en soliste. Tous ces images s’agitaient dans nos têtes et nous étions alors prêts à composer un grand numéro de jazz comique ! C’est ainsi qu’est né Être Un Homme Comme Vous / I Wanna Be Like You (The Monkey Song), avec l’idée d’un scat, c’est à dire d’un chant sans paroles du genre « scoo be doo be doo ». Nous avons donc écrit cette chanson et comme nous l’aimions bien, nous l’avons présentée à Walt et au reste de l’équipe, avec les animateurs. Tout le monde s’est accordé à penser que cela ferait une scène très drôle. Ce fut la première chanson que nous avons ajoutée à l’histoire de base et elle fut très bien reçue par toute l’équipe.

Ensuite, nous avons trouvé que le serpent était un autre personnage effrayant et nous avons cherché à le rendre comique. Nous lui avons donc imaginé un défaut de prononciation sur les consonnes sifflantes. Cela donne : « Trussst in me / Jussst in me / Sssshhhut your eyessss and trusssst in me ». Cela l’a rendu drôle et toutes sortes d’idées sont alors arrivées, comme les problèmes qu’il a avec sa queue. C’était d’autant plus amusant que le serpent est un animal qui fait peur au départ ! Walt a adoré et a pensé à lui donner ce fameux regard hypnotique qu’on lui connaît maintenant, kaléidoscopique !

Il y eut ensuite la Marche du Colonel Hathi qui accompagne la patrouille de la jungle. Nous voulions faire une sorte de paradie de manoeuvres militaires. Nous avons donc repris la façon dont les militaires parlent : « Hup two three four / Keep it up two three four », mais pour des manoeuvres sans objet, détruisant tout sur leur passage !

La scène des vautours était aussi une scène effrayante et bizarre dans le récit d’origine et nous avons voulu en faire un hommage aux Beatles en leur donnant une sorte d’accent à mi-chemin entre le cockney et l’accent de Liverpool, tout en concevant leur numéro musical comme un Barbeshop Quartett ! La transformation de sombre à comique était très réussie ! Dans cette chanson, That's What Friends Are For (The Vulture Song), il y a une phrase que j’aime particulièrement pour son double sens : « In fact we never met an animal we didn’t like, didn’t like » ! Walt l’aimait aussi beaucoup. Nous avons adoré écrire ces chansons !

Le casting original du LIVRE DE LA JUNGLE est vraiment remarquable et les interprètes ont eu une réelle influence sur la personnalité de leur personnage. Quels souvenirs gardez-vous de Louis Prima (King Louie), Phil Harris (Baloo) et Sterling Holloway (Kaa) ?
Lorsque nous avons terminé Être Un Homme Comme Vous, nous avons tout de suite pensé qu’il fallait qu’elle soit chantée par un jazzman. A l’origine, nous avons même songé à Louis Armstrong, qui avait déjà enregistré certaines de nos chansons pour d’autres films, ce qui fait que nous le connaissions déjà. Pour nous, c’était une excellente idée, mais, au moment de faire appel à lui, quelqu’un nous a dit : « est-ce que vous avez pensé que la NAACP, qui est une association américaine de défense de la communauté noire, pourrait se sentir offensée que le roi des singes soit interprété par un homme noir ? Cela pourrait sonner pour eux comme une insulte.» Nous étions très loin de penser à cela, nous ne voulions insulter personne. Tous les hommes sont égaux et nous avions choisi Louis Armstrong pour son immense talent. Nous avons alors pensé à Louis Prima, qui avait déjà chanté beaucoup de nos chansons (Let’s Fly With Mary Poppins – Louis Prima and Gia Malone sing tunes from Walt Disney’s Smash Hit, Buena Vista Records, JN) et dont nous étions fans. Notre bonne étoile a voulu que Tutti Camerata, qui était directeur musical des disques Disney, était très ami avec lui. Nous avons donc présenté notre chanson à Louis Prima et son orchestre, Sam Butera and the Witnesses. A la fin de la chanson, il nous a regardés mon frère et moi d’un air très sérieux (alors qu’il pouvait être un vrai pitre sur scène), tandis que tout l’orchestre faisait silence, et dit : « Est-ce que vous voulez faire de moi un singe ? » Nous avons répondu « Oui », ce à quoi il a rétorqué « Et bien, ça marche ! (« Well, you got me ! ») ». Ils avaient fait exprès de nous faire peur car ils adoraient la chanson et se la sont complètement appropriée pour en faire quelque chose de fantastique. C’est alors qu’est arrivé Phil Harris. C’était vraiment quelqu’un d’unique, très spécial, qui a donné une magnifique interprétation de cette chanson, et de toute la voix de Baloo. Ce fut merveilleux de travailler avec lui. Il est intéressant de penser que, pour la bande-son du film, nous n’avons jamais pu avoir les deux artistes en même temps car ils se trouvaient à des centaines de kilomètres l’un de l’autre. Nous les avons donc enregistrés séparément puis mixés ensemble. Ce fut très particulier car ils étaient sensés dialoguer. Lorsque Louis Prima chantait « oo be doo be doo », Phil Harris devait répondre la même chose. Mais quand il a entendu Louis Prima, il a dit : « ce ne sont pas mes mots. » Nous l’avons donc invité à imaginer ses propres mots. Cela a donné « oo be doo be doo / ree ba na za », et c’est devenu une véritable conversation en scat : c’était incroyable ! Nous tenions quelque chose de magique. Avant de disparaître, les deux artistes ont déclaré que leur performance pour LE LIVRE DE LA JUNGLE faisait partie des choses qui les avaient rendus immortels. Ce fut une grande fierté pour nous tous, car ces deux gentlemen étaient vraiment extraordinaires.

Quant à Sterling Holloway, nous en étions très proches du fait que nous avions travaillé ensemble sur toutes les chansons de WINNIE L’OURSON. Un jour, Walt lui a demandé de voir ce qu’il pouvait faire avec Kaa le serpent et, de façon étonnante, il a totalement changé de personnalité afin d’incarner cet animal sifflant et menaçant. La différence avec le doux et tendre Winnie était saisissante. Il a fait quelque chose de fantastique et y a ajouté ses propres touches comme « it’sss gonna ssslow down my ssslithering. » Nous avons vraiment bénéficié de quelques-unes des meilleures voix du monde ! En ce qui concerne la jeune fille, nous avons fait appel à Darleen Carr. Elle était en train de tourner un film au studio avec Maurice Chevalier appelé MONKEYS, GO HOME ! (1967) dans laquelle elle chantait avec Chevalier. Elle avait une petite voix très pure et nous lui avons demandé de monter dans notre bureau pendant le déjeuner pour essayer une chanson. Nous l’avons donc enregistrée pendant que je jouais du piano, et elle l’a chantée si joliment que c’est cet enregistrement que nous avons présenté à Walt comme démo. Un an après, au moment d’enregistrer la bande-son définitive, nous nous apprêtions à chercher une chanteuse et Walt nous a dit : « Vous l’avez déjà ! La jeune fille qui a enregistré la démo ! » Il se souvenait vraiment de tout ! Il l’avait entendue une seule fois et elle était ancrée dans sa mémoire : « c’est elle ! » Nous avons fait revenir Darleen Carr pour rechanter My Own Home, et ce fut une très grande émotion.

Le fait qu’Être Un Homme Comme Vous fasse une grande part à l’improvisation est très original pour une B.O..
Il faut dire que cette chanson a été dès le départ conçue de façon ouverte. Nous avons essayé de donner un bon point de départ jazz, puis nous avons dit : « maintenant, improvisez ! ». L’orchestre faisait également partie de la fête. Cappy Lewis, le trompette solo a imaginé un solo qui allait délibérément à l’encontre des accords, du « cantus firmus » que nous avions écrits. Mais c’est justement le fait qu’il s’agit de pure improvisation qui fait la réussite de cette chanson.

La séquence Trashin’ the Camp dans TARZAN, avec son scat et sa trompette (Tantor) résonne comme un hommage à la fois drôle et émouvant à cette chanson.
C’est fut en effet une bonne idée de faire appel au scat pour cette séquence. Mais vous savez, nous n’avons pas inventé le scat. Cela remonte à Louis Armstrong. Il a enregistré le premier scat, Hee Bie Jee Bies en 1926. Pour moi, c’est vraiment le roi ! Être Un Homme Comme Vous est une sorte d’hommage de notre part. TARZAN nous montre bien tout ce que l’on peut apprendre du passé. C’est une très belle chose. Il est bon de s’inspirer du passé, de se l’approprier pour construire son propre chemin.

My Own Home se distingue nettement des autres chansons du film.
C’est en effet la seule chanson qui ne soit pas drôle. Elle a été écrite parce que nous avions besoin d’une conclusion, ce qui n’était pas chose aisée. Nous avons pensé que ce serait une bonne idée si une jeune fille apparaissait. Elle permettrait à Mowgli de découvrir les sentiments qu’un garçon peut ressentir pour une fille. Il verrait une belle jeune fille avec de beaux yeux, venant puiser de l’eau et serait sous le charme, désireux de la suivre. C’est la magie de la vie, qui attire irrépressiblement un garçon vers une fille et une fille vers un garçon… et Mowgli vers le village des hommes. Nous avons donc imaginé une sorte de chant de sirène basé sur cette histoire. Pendant ce temps, Ken Anderson, un merveilleux directeur artistique, était chargé de son côté de dessiner cette histoire. Nous n’avions jamais vu son travail sur cette scène et il n’avait jamais entendu notre chanson. Un jour, nous sommes allés dans son bureau et ce fut incroyable de voir que les images qu’il avait conçues correspondaient exactement à notre chanson ! De son côté, les larmes lui montaient aux yeux en l’écoutant. C’était comme si nous avions travaillé dans la même pièce ! Chaque détail se retrouvait tant dans les images que dans la musique. Nous avons alors montré tout cela à Walt et aux animateurs et il nous a dit : « c’est cela, c’est la fin : allons-y ! ». « Father’s hunting in the forest / Mother’s cooking in the home / ‘Til the day that I am grown (…) Then I will have a handsome husband / And a daughter of my own / And I’ll send her to fetch the water / I’ll be cooking in the home » : c’est une merveilleuse conclusion sur le cercle de la vie !

Toutes les chansons que vous avez écrites pour le film comportent un sous-titre : Colonel Hathi’s March (The Elephant Song), I Wan’na Be Like You (The Monkey Song), That’s What Friends Are For (The Vulture Song). D’où cela vient-il ?
Avant de commencer chaque chanson, nous avons mis un de ces sous-titres en haut de chaque feuille, et ce n’est qu’ensuite que nous leur avons donné leur titre. Les sous-titres sont restés et on appelle toujours I Wan’na Be Like You "The Monkey Song". Cela nous a permis de garder en mémoire les protagonistes de chaque chanson et nous a inspirés.

Le plus intéressant de ces sous-titres est celui de My Own Home, The Jungle Book Theme.
Ce fut une idée du studio. Ce thème a été très souvent utilisé en divers endroits du film. C’est pour cela qu’il est vraiment devenu le thème du film, qui vous accompagne tout au long de l’aventure. George Bruns a fait appel à lui entre chaque séquence, chaque rencontre avec un animal différent, comme pour toujours rappeler le but ultime de Mowgli, sa vraie destination : il ne doit pas vivre avec les loups, mais avec les hommes. Et vous comprenez tout cela au moment où vous entendez et voyez la jeune fille à la rivière. Elle représente l’évolution de la vie humaine. Mowgli est ainsi conduit jusqu’à elle et un jour, ils vont se marier, avoir des enfants et tout va pouvoir recommencer. C’est donc ce thème obsédant qui vous guide et vous tire vers cette finalité. Je n’en avais jamais parlé auparavant, mais cet aspect du film contient tout son véritable sens. Toute la réussite du film vient du fait que tout cela est exprimé avec une une très grande subtilité.

Les deux grands principes des films Disney, le rire et l’émotion, sont ainsi merveilleusement réunis, dans un film encore bien plus riche qu’il n’y paraît.
Walt avait tout d’abord insisté pour que ce soit un film drôle, puis est venue cette chanson qui parle au coeur, qui a ce petit supplément d’âme, qui a vraiment quelque chose à dire. Walt avait déjà beaucoup traité le thème du rêve comme dans Un Jour Mon Prince Viendra, mais dans ce cas, le rêve, c’est tout simplement d’avoir ses propres enfants, sa propre vie dans son propre monde, et Mowgli va pouvoir en faire partie. Tout cela est subtile, mais c’est ainsi qu’était Walt. C’était un homme qui croyait vraiment à la famille.

Pouvez-vous maintenant nous parler de l'album More Jungle Book, pour lequel vous avez composé avec votre frère Baloo’s Blues et It’s A Kick ?
A cette époque, il était déjà question d’une suite au LIVRE DE LA JUNGLE, mais celle-ci n’a pas vu le jour. C’était une période durant laquelle le studio n’avançait plus beaucoup. Néanmoins, nous avons écrit deux nouvelles chansons, et deux autres devaient y être incorporées. C’est finalement devenu un album, sorti en 1969. On peut d’ailleurs entendre ces deux chansons interprétées par Phil Harris sur le CD de la BO en version originale. Quant à la suite qui sort aujourd’hui sur les écrans, elle est différente de ce qui avait été envisagé à l’époque.

Que pensez-vous de cette idée de donner une suite au chef-d’oeuvre de 1967 ?
Quand LE LIVRE DE LA JUNGLE 2 est sorti, je me suis dit que ce serait merveilleux. Disney dispose de personnages inoubliables et s’ils savent bien les traiter, cela ne peut être qu’un succès. Ce serait aussi une occasion de ressortir ou bien de revoir le premier film. En fait, il s’agit de perpétuer une grande aventure. Rudyard Kipling a créé une histoire formidable, Walt Disney la re-racontée d’une façon incroyablement belle et si on peut continuer à maintenir un tel niveau de qualité, je suis tout à fait pour.

Il est amusant de penser que LE LIVRE DE LA JUNGLE possède une chanson originellement prévue pour MARY POPPINS.
Vous parlez certainement de The Land Of Sand. Elle était prévue en tant que mélodie instrumentale pour une séquence dans laquelle Mary Poppins emmène les enfants dans un voyage imaginaire autour du monde. Il arrivent au milieu du désert du Sahara et c’est là qu’elle se met à la chanter sur cette même mélodie. Mais la séquence a été abandonnée et il nous restait ce thème hypnotique. C’est alors que nous sommes dits que nous pourrions l’utiliser pour Kaa, ce que nous avons fait en changeant simplement les paroles.

Nous vous laissons le mot de la fin.
Je dirais simplement que nous nous sommes avant tout beaucoup amusés à composer les chansons du LIVRE DE LA JUNGLE, et que nous l’avons fait dans des conditions idéales, entourés des meilleurs animateurs et storymen, la plupart disparus aujourd’hui. Mais ils vivent toujours dans mon coeur et les personnages qu’ils ont créés vivront à jamais. Je suis toujours très fier d’avoir fait partie de ce groupe. C’était le dernier dessin-animé supervisé par Walt Disney et il s’est beaucoup impliqué dans chaque aspect de ce projet. On y retrouve tout son humour et sa sensibilité, et c’est pour cela que le film est une telle réussite.