mardi, novembre 27, 2007

MARY POPPINS - THE MUSICAL : Entretien avec le compositeur Richard Sherman

En 1938, Walt Disney découvre MARY POPPINS à travers l’émerveillement de sa fille Diane, alors âgée de 12 ans. Le livre enchante à son tour le papa qui pressent aussitôt ce qu’il peut en tirer. Presque trente ans après naissait cette féerie musicale dont la magie est due à l’inoubliable et légendaire tandem des frères Sherman. Aujourd’hui, leur œuvre atteint une nouvelle dimension, devenant une comédie musicale tant sur la scène londonienne qu'à Broadway. La rencontre de deux générations.

Plus de quarante ans après, on parle toujours de MARY POPPINS comme d'une référence. Qu'est-ce que cela vous inspire?
Cela m’inspire beaucoup d’émotion, de bonnes choses, et je suis très heureux que mon frère et moi ayons pu contribuer à ce film. Dieu bénisse Walt Disney ! Nous n’avions rien fait de très connu avant, mais il nous a fait confiance, nous a encouragés et nous a offert cette fantastique opportunité de travailler pour son studio.

Pouvez-vous nous parler du rôle des chansons dans MARY POPPINS ?
En fait, elles ont été écrites avant même le scénario. Mon frère Robert et moi avons commencé à y travailler dès le début de 1960, sous la direction de Walt Disney. Il voulait que nous trouvions le moyen de raconter une histoire en musique à partir des nombreux livres de P.L. Travers. Dans ce but, nous avons sélectionné avec Don Da Gradi une demi douzaine d’histoires que nous pensions être les plus intéressantes et pouvoir être réunies autour d’un même sujet. Il n’y a pas de lien chronologique entre les différents livres, c’est la raison pour laquelle nous avons imaginé que Mary Poppins apparaissait parce qu’on avait besoin d’elle. Les enfants manquent d’amour et d’attention de la part de leurs parents préoccupés l’un par son travail à la banque, l’autre par son engagement avec les suffragettes. Mary Poppins arrive et leur apprend à profiter de la vie pour ce qu’elle est et montrer aux parents que ces enfants ont surtout besoin d’amour. C’est ainsi que nous avons relié toutes ces saynètes empruntées aux livres. Mais surtout, nous avons changé la période durant laquelle se passe cette histoire. Dans les livres, il s’agit des années 1933-1935, une époque très sombre pour l’Angleterre, peu propice aux contes de fées, et nous avons décidé de la déplacer au tournant du siècle, une époque où tout était possible. Ce fut une décision arbitraire de notre part, mais elle nous a permis d’écrire dans les magnifiques styles musicaux du tournant du siècle anglais, parmi lesquels le vaudeville et autres chansons populaires. Ce n’est qu’ensuite qu’est arrivé Bill Walsh le grand artiste et producteur qui a brillamment finalisé cette ébauche de scénario, sous la houlette de Walt Disney. Par exemple, l’émeute et la fuite de la banque viennent de lui. Ce fut une belle consécration pour Walt car il a utilisé dans ce film le meilleur de tout ce qu’il avait pu réaliser par le passé. Et pour nous, c’est le film qui nous a véritablement lancés, Bob et moi, et nous a permis de continuer à écrire des chansons pendant encore de très nombreuses années !


Comment définiriez-vous le style des chansons de MARY POPPINS ?
Le plus important, c’est la période, l’époque. Dans le film, nous sommes dans les années 1910, juste avant que le monde ne sombre dans la guerre. De fait, notre style est celui de l’innocence. Je pense que c’est le terme le plus évocateur. Musicalement, il n’y a rien de sophistiqué, notamment dans l’harmonie, pas d’accord de neuvième altérée ou autre. C’est vraiment très doux. Une innocence et une simplicité qui s’accompagnent d’un petit grain de fantaisie et d’esprit. Nous ne voulions pas dire les choses de front comme « souriez ! », mais plutôt de façon simple et imagée : «c’est le morceau de sucre qui aide la médecine à couler»…


L’idée d’une comédie musicale sur scène ne date pas d’hier.
C’est une idée qui trottait depuis de nombreuses années dans la tête du producteur Cameron Mackintosh ainsi que de Michael Eisner, mais ce ne fut pas possible pendant un certain temps car Pamela Travers ne souhaitait pas que la version scénique de Mary Poppins soit tirée du film américain. Le monde entier a adoré et adore toujours ce film, mais pas elle !


Cela ne fut d’ailleurs pas facile pour Walt Disney non plus d’obtenir les droits des livres pour en faire un film !
Cela lui a pris presque 20 longues années! Il avait eu cette idée dans les années quarante, et ce n’est qu’en 1961 que les choses se sont débloquées et que nous avons été mis sur le coup. En tant que staffwriters, nous avons pu développer ce projet tranquillement pendant deux ans avec Don entre nos différents projets, jusqu’à ce que Walt considère que nous avions une histoire solide et un nombre suffisant de chansons pour explorer ces aventures. Au bout du compte, nous avons écrit pas moins de 35 chansons, pour n’en garder plus que 14 ! Mais je suis heureux que ce soit vraiment les chansons essentielles qui ont été gardées, tant pour le film que pour la comédie musicale.


Comment s’est passée votre rencontre avec George Stiles et Anthony Drewe, le compositeur et le parolier des nouvelles chansons de la comédie musicale ?
Ce fut une merveilleuse rencontre. Je me suis rendu en Angleterre à l’invitation de Tom Schumacher, le brillant responsable de toutes les comédies musicales de Disney, et de Cameron Mackintosch pour rencontrer George et Anthony. C’était chez Cameron Macintosh. Ce sont deux artistes absolument merveilleux tant du point de vue humain que musical, des personnes très sensibles et adorables. Et en plus d’être charmants, ils ont écrit des chansons extraordinaires, tant originales que développant nos propres thèmes afin de s’intégrer dans le nouveau livret du spectacle. J’aime beaucoup ce qu’ils ont fait. C’est un bon mariage entre les deux.


N’aurait-il pas été possible d’utiliser certaines de vos chansons non utilisées dans le film ?
Le livret était trop différent. Certaines histoires sur lesquelles nous avions travaillé à l’époque ont été totalement abandonnées, et d’autres histoires de P.L Travers ont été employées. Julian Fellowes a fait un remarquable travail d’adaptation, opérant une véritable fusion entre les livres et le film, et développant notre matériel original avec beaucoup de tact. Ce fut un développement de plusieurs années.


Les nouvelles chansons s’intégrent parfaitement avec le matériel original du film.
Je le pense aussi. On ne sent pas la différence, c’est comme si c’était les mêmes personnes qui avaient travaillé à l’ensemble, et j’ai été absolument ravi de cela ! C’était très important. Je pense que cela est notamment dû au fait que George et Anthony ont su montrer beaucoup de respect par rapport à ce que nous avions fait à l’origine. George m’a confié que c’est CHITTY CHITTY BANG BANG qui lui a donné l’idée et la passion de faire du piano. C’est un beau compliment et cela m’a énormément touché. Je ne dirai jamais assez à quel point j’apprécie ces deux gentlemen!


Qu’avez-vous ressenti quand vous avez découvert les nouvelles chansons ?
Cela fait une drôle d’impression d’entendre des chansons qui sonnent comme si c’était vous qui les aviez écrites. C’est pour cela que j’ai dit à George, Anthony et Tom : « j’ai pas mal travaillé, non ? ». Ce fut à la fois une grande joie et un grand soulagement car je voulais vraiment que ce soit bon. Contractuellement, il ne nous était pas possible d’écrire de nouvelles chansons comme nous l’avons fait sur CHITTY CHITTY BANG BANG, mais les producteurs ont su trouver l’équipe de compositeur et parolier qui ressentait les choses exactement de la même façon que nous.


Difficle de rester insensible à la magie de cette comédie musicale!
C’est un spectacle très émouvant. Il ne s’agit plus seulement des enfants, mais d’une leçon pour toute la famille, sur le fait d’être ensemble et de partager. Très sincèrement, c’est l’une des plus remarquables et enthousiasmantes productions qu’il m’a été donnée de voir ! C’est une véritable œuvre d’art.