vendredi, janvier 04, 2008

LA TOUR DE LA TERREUR AUX WALT DISNEY STUDIOS PARIS : Entretien avec le compositeur Richard Bellis

Le cinéma, Richard Bellis y est tombé dedans quand il était petit. Enfant, il a tourné pour le cinéma dans Des Monstres Attaquent la Ville (Them, 1954) et pour la télévision dans Cheyenne et Batman. C’est à l’adolescence que sa fibre musicale prend son essor tandis qu’il devient directeur musical de la tournée de Shinding, puis de Johnny Mathis. Après un passage de quelques années à Las Vegas comme arrangeur et chef d’orchestre, il revient en 1976 à Los Angeles en tant que compositeur. C’est là qu’il se fera remarquer pour ses musiques de ça de Stephen King, qui lui vaudra un Emmy. Il enseignera la musique de film à USC puis à UCLA, et anime depuis plus de dix ans l’ASCAP television and film scoring workshop, qui porte aujourd’hui son nom. Enfin, il est depuis peu membre du conseil d’administration de l’ASCAP (la SACEM américaine). Mais la raison pour laquelle nous nous sommes entretenus avec Richard Bellis, c’est son expérience certaine en matière de musiques d’attractions Disney. On lui doit en effet les musiques de Star Tours, d’Indiana Jones Adventure au Disneyland d’Anaheim, d’Indiana Jones Stunt Show Spectacular à Orlando et surtout de La Tour de la Terreur, dans ses deux versions américaines (sachant que celle qui vient d’ouvrir aux Walt Disney Studios est la réplique de celle de Disney’s California Adventure à Anaheim). Un saut dans la quatrième dimension, celle de la musique…

A quel moment êtes-vous arrivé sur le projet de la première Tour de la Terreur, celle des Disney-Hollywood Studios ?
C’était en 1993, à peu près un an avant l’ouverture. Le site était encore loin d’être construit.

Il faut dire que cette attraction a demandé beaucoup de préparation, notamment par rapport au thème de la série, La Quatrième Dimension.



Justement, pouvez-vous nous parler de votre travail sur ce thème musical ?
En fait, peu de gens savent qu’il ne s’agit pas, à l’origine, d’une musique de série. C’était au départ deux pièces orchestrales indépendantes de la série composée par Marius Constant, Etrange N°3 et Milieu N°2 et qui, associées, ont donné le générique de La Quatrième Dimension. En soit, musicalement, la première partie (le début du générique de la série) est déjà un thème très troublant avec ce motif tournoyant joué par deux guitares car il ne commence pas sur un temps fort de la mesure. Aucun compositeur n’aurait écrit cela naturellement et cela crée une sorte de désorientation au niveau du rythme. Quant à Milieu N°2, il s’agit de ce morceau aussi bizarre écrit pour le registre grave de la guitare. L’orchestration est aussi intéressante. Il s’agissait d’un petit orchestre avec deux trompettes, deux trombones, deux ou trois bois, deux percussions et une toute petite section de cordes. Et pour rester dans cet esprit, nous avons conservé cet ensemble pour nos enregistrements, que ce soit pour ces deux thèmes ou pour ma musique originale (les moments non synthétiques).


De quel matériel êtes-vous parti pour puiser votre inspiration ?
Principalement la série. Il faut savoir que Jerry Goldsmith a composé la musique de sept épisodes de La Quatrième Dimension. Et dans la mesure où j’ai toujours été un grand admirateur de son talent, je me suis prioritairement tourné vers ceux-là.


Si vous le voulez bien, partons explorer les différents lieux de cette Tour. L’aventure commence véritablement dans la bibliothèque, avec le fameux « Lost Episode » de La Quatrième Dimension.
En fait, tout ce que vous entendez a été ré-enregistré, non seulement pour des raisons de droits, mais également pour faire en sorte que le son soit toujours le meilleur possible. C’est une préoccupation importante de Disney de toujours proposer le dernier cri en matière de technologie. C’est ainsi que, pour cet épisode, j’ai enregistré le thème de la série suivi d’une musique originale. C’était vraiment très intéressant car Disney invente toujours des « backstories », des histoires fabuleuses et très précises pour ses attractions afin que tous les créateurs aillent vraiment dans le même sens et se sentent impliqués dans cet univers. Le résultat pour les visiteurs est qu’il faut souvent faire plusieurs fois une attraction pour en percevoir et en apprécier tous les détails. C’est cette histoire que l’on retrouve dans cet épisode : l’idée d’un vieil hôtel d’Hollywood et d’une famille qui disparaît de cet hôtel un soir d’Halloween.


C’est dans le même esprit de cohérence et d’authenticité que j’ai non seulement écrit la partition de cet épisode, mais également la musique que joue le petit orchestre de chambre de l’hôtel. On ne le voit jamais, mais il y a un violon, une clarinette et un piano, dans une pièce adjacente, comme dans les tous les grands hôtels.



Puis on passe dans la chaufferie, avant de gagner le fameux ascenseur !...
En ce qui concerne les montées de l'ascenseur, il a fallu s'adapter aux différentes étapes du ride dans la mesure où il y a parfois des ascensions d'un étage et des ascensions de deux étages. Il a donc fallu minuter très précisément ces déplacements sur place et adapter la musique à ce timing. C’est à partir de là que la version de Paris diffère de celle d'Orlando. En effet, dans la mesure où, à Walt Disney World, l'ascenseur commence par la visite d'un lieu appelé "La Cinquième Dimension", que l'on ne retrouve plus dans la version de Disney's California Adventure et celle de Paris. Il s'agissait d'un parcours horizontal de la cage d'ascenseur pour lequel nous avions recréé le générique de la série avec tics d'horloge et une ambiance sonore très spéciale plutôt qu'une véritable musique.




Qu’en est-il pour les deux étages « stables » (le miroir et le couloir) ?
En fait il s’agit d’un mélange entre les effets sonores et la musique. Vous savez, le responsable des effets sonores de WDI depuis des années, s’appelle Joe Herrington. Et récemment, son fils, Ben Herrington, a à son tour pris de plus en plus d’importance à WDI, non pas en tant qu’employé mais en tant que partenaire, dans la mesure où il a sa propre société. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, notamment sur la version floridienne de Moteurs, Action !. Sur La Tour de la Terreur, il a beaucoup participé en créant des effets inédits, que ce soit pour ces étages ou bien pour l’ascenseur lui-même. Pour la scène de la disparition de la famille, j’ai imaginé une association de l’ambiance de La Quatrième Dimension avec des rythmes cycliques inspirés de Bernard Herrmann, le compositeur préféré d’Alfred Hitchcock.


Puis vient le moment tant redouté de la chute!
Déjà, l’ascension vers le sommet s’accompagne d’un mélange de synthétiseur et d’instruments « live » un peu à la manière d’un train et qui vous donne cette impression de vitesse et de tension. Quant à la chute, il s’agit simplement de synthétiseur, mais vous avez peu de chance de l’entendre car il est le plus souvent couvert par les cris des visiteurs ! Dans la version originale de la Tour de la Terreur, il s'agissait d'un seul morceau dans la mesure où il n'y avait qu'un seul drop. Il a fallu ensuite l'adapter pour la version californienne avec ses drops et ascensions aléatoires, ce qui rend les choses plus intéressantes. Chaque nouvelle attraction est aussi l'occasion d'innovations techniques.

Qu'en est-il pour les différentes versions de la Tour de la Terreur?
Pour la version d'Orlando, la musique était diffusée à partir d'une bande magnétique et ce depuis la cage de l'ascenseur. A Anaheim et Paris, la musique est diffusée depuis l'ascenseur lui-même, elle est embarquée à bord du véhicule, comme ce fut le cas pour la première fois sur Indiana Jones Adventure, dont j’ai également fait la musique. Ce fut un véritable défi technique de faire en sorte que la musique accompagne ainsi le véhicule dans ses différents mouvements. Il a fallu pour cela attacher un système pro-tools, avec ordinateur, à l'intérieur du véhicule et faire tout le mixage pendant le ride, alors qu'en Floride, il a fallu minuter la chute sur papier, avec les crayons des gars de WDI qui flottaient dans les airs à chaque drop! Le résultat est en tout cas beaucoup plus convainquant avec la musique à bord du véhicule.


Avez-vous participé à la musique du lobby ?
Non, il s’agit en fait d’une compilation de morceaux de l’époque de l’hôtel, dans les années 30. Ma musique commence à partir de la bibliothèque.

Quelle version de l’attraction préférez-vous ?
J’adore la nouvelle version de la Tour de la Terreur. L’idée d’avoir plusieurs drops est géniale et tout est vraiment meilleur. La bibliothèque, bien sûr, mais aussi la chaufferie qui, même si elle n’a pas de musique, est vraiment fabuleuse de par ses effets sonores très suggestifs. J’ai beaucoup aimé refaire ces choses pour la version californienne de la Tour et les remixer en ayant plus de recul et de temps. C’est de cette toute dernière version dont vous bénéficier maintenant à Paris, et je crois que c’est une excellente chose !

Que pensez-vous de la version japonaise de la Tour, à Tokyo DisneySea ?
J’aurais tellement aimé en faire la musique ! Apparemment, cette version est basée sur une histoire différente car les Japonais ne connaissent pratiquement pas la série La Quatrième Dimension. C’est cette différence qui m’intéressait, mais c’est un autre compositeur qui a été choisi !


En tant que compositeur pour le cinéma et la télévision, vous avez une grande connaissance du milieu de la musique de film, vous avez même écrit un livre, The Emerging Composer, sur le sujet, livre qui donne pour la première fois une vision réaliste du métier. Comment voyez-vous le travail du compositeur de musiques d’attraction par rapport au milieu du cinéma ?
Déjà, il y a la question de la reconnaissance. Mon expérience en matière d’attractions se limite à Disney, avec qui j’ai de plus en plus de plaisir à travailler. Le fait qu’on ne soit pas crédité pour une musique d’attraction ne me pose aucun problème car c’est le cas de tous les imagénieurs. Du point de vue du travail lui-même, je dois dire que c’est une chance de travailler pour Disney car ils ont un respect pour le compositeur et pour ses idées bien supérieur au milieu du cinéma. J’en discutais d’ailleurs récemment avec le compositeur Bruce Broughton (Cinémagique, Chérie, J’ai Rétréci le Public !, Chérie, J’ai Agrandi le Bébé, Tombstone, etc) qui me disait la même chose. Chez Disney, on demande aux compositeurs d’être eux-mêmes, pas de composer à la manière de telle partition temporaire. Le compositeur est un membre à part entière de l’équipe créative, au même niveau que les autres. Et on ne trouve cela que chez WDI ! Les conditions de travail dans la musique de film se sont beaucoup dégradées ces dernières années. On vous demande de faire autant de musique qu’avant mais avec moins de temps et moins d’argent. Le résultat est la multiplication de musiques de film réalisées sur synthétiseur. Mais un synthétiseur ne vaudra jamais un orchestre de grands musiciens. Chez Disney, ce genre de problème n’arrive jamais car ils accordent le temps et le budget qu’il faut pour que les choses soient bien faites. C’est une longue réponse à votre question, mais c’est un sujet qui me passionne.


Justement, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre, à donner cette vision à la fois réaliste et dure du métier ? Avez-vous souhaité mettre en garde les aspirants compositeurs de musiques de film ?
« Mettre en garde » est peut être un peu fort, mais c’est sans doute la meilleure expression. Je pense que les enseignants ne devraient pas seulement enseigner un métier. Ils devraient aussi évaluer pour chaque étudiant si c’est la meilleure chose à faire. Ce n’est pas forcément dans l’intérêt des écoles qui ont investi dans un programme d’enseignement de la musique des médias, mais ce n’est pas bon non plus d’avoir des jeunes qui laissent tomber très vite, faute de pouvoir vivre de leur art. C’est ce qui m’a poussé à écrire ce livre. Je n’ai en aucun façon cherché à dissuader, mais si l’on n’est pas prêt pour ce métier et pour ce milieu, cela peut devenir une catastrophe tant sur le plan financier, professionnel que personnel. Pour un compositeur qui réussit –et réussit très bien-, combien sont obligés de travailler jour et nuit pour des salaires de misère. C’est le résultat de trois choses. D’une part, les budgets dévolus à la musique ont énormément diminué et dans le même temps, le nombre de compositeurs a triplé depuis quinze ans ce qui a eu pour conséquence un émiettement du travail. Et troisièmement, vous avez de plus en plus de réalisateurs qui sortent des écoles de cinéma sans rien connaître à la musique de film, sans savoir comment auditionner ou choisir un compositeur, sans savoir ce que la musique peut faire dans un film. Avec ces trois éléments, toutes les conditions sont réunies pour une véritable crise, et c’est ce que j’ai voulu expliquer dans mon livre : présenter et expliquer la situation actuelle de notre métier.

De Star Tours à la Tour de la Terreur en passant par Indiana Jones Adventure ou encore Moteurs, Action !, vous avez écrit les musiques d’un nombre incroyable d’attractions devenue légendaires. Comment expliquez-vous ce succès?
Je ne sais pas. On ne sait jamais si l’attraction sur laquelle vous travaillez va avoir du succès. C’est la raison pour laquelle c’est toujours une merveilleuse surprise de voir votre attraction se répandre à travers le monde comme c’est le cas aujourd’hui avec la Tour de la Terreur qui arrive à Paris !


Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je dois dire que je fais beaucoup moins de musique de film en ce moment, mais cela me convient car, comme je vous l’ai expliqué, le métier a beaucoup changé ces derniers temps, et c’est un travail beaucoup moins agréable que ce qu’il était il y a quelques années. Je me consacre donc en ce moment aux nouvelles attractions de Disney. Ce sont vraiment des gens charmants qui savent que leurs attractions vont accueillir des visiteurs pendant plusieurs années, ce qui fait qu’ils investissent l’argent qu’il faut pour que les choses soient bien faites. C’est ainsi que j’ai fait la musique du nouveau film pour le Pavillon Chinois d’EPCOT, en conservant à leur demande quelques extraits de la musique originale composée par notre ami Buddy Baker, comme un hommage à ce grand Monsieur. Ensuite, j’ai fait la musique du Pavillon Mexicain. Pour ce faire, nous avons ré-enregistré et parfois ré-orchestré des musiques des Trois Caballeros, ce qui fut très amusant. J’ai aussi participé au « live animation show » de Monsters, Inc., le Laugh Floor pour Walt Disney World. C’est un grand écran sur lequel sont projetés des personnages du film qui interagissent en temps réel avec le public par le biais d’un acteur caché en coulisses, qui peut voir le public et animer en direct le personnage. Pour cette attraction, WDI n’a utilisé que quelques extraits de la musique originale de Randy Newman et pour le reste, ils m’ont demandé d’écrire dans le style de Randy. Et en ce moment, je travaille à la nouvelle version de The Enchanted Tiki Room pour Tokyo. Comme vous pouvez vous en rendre compte, travailler pour Disney me permet de voyager à travers toutes sortes de styles et de cultures en musiques. Je suis vraiment comblé !



Merci à Kristof (Photosmagiques)

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bonjour et merci pour cet article vraiment tres interessant. L'attraction est geniale, le decor, le theme et l'ambiance generale aussi. Une attraction qui va rebooster les Wlt Disney Studios apres le superbe roller-coaster sur le theme de Nemo.
Jeremie, j'aimerais trouver le moyen de vous contacter ou vous ecrire. Vos parents m'ont donne l'adresse de votre blog mais je ne trouve pas d'adresse mail (c'est complique, beaucoup de caracteres de mon ordinateur sont en japonais...).
Encore merci et bravo pour votre blog.

Michael

12:29 PM  
Blogger Jeremie NOYER said...

Cher Michael,

Merci de votre commentaire et de vos visites.
Pour me joindre, vous pouvez vous rendre sur le forum Disney Central Plaza (le lien sont sur la page principale du blog)et m'envoyer un message personnel. Mon pseudo est Philharmagic (j'ai un topic special dans la rubrique Disney Unlimited). Nous pourrons ainsi poursuivre cette conversation avec plaisir. A bientôt!

6:54 PM  

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