samedi, février 16, 2008

BENJAMIN GATES ET LE LIVRE DES SECRETS : Entretien avec l'artiste de storyboard Trevor Goring

Il n’y a pas que les scénaristes qui créent les histoires de nos films préférés. Les artistes de storyboard ont aussi leur mot à dire. Véritable lien entre le script et le tournage, le storyboard ne fait pas que transcrire l’histoire de façon visuelle. Il apporte une véritable lecture du scénario et peut tout aussi bien proposer des développements inédits, si tant est que le storyboarder bénéficie d’une certaine liberté et d’une certaine créativité!
C’est bien le cas de Trevor Goring, storyboard artist et illustrateur bien connu dans la profession, qui a travaillé non seulement sur les deux Benjamin Gates, mais également sur d’autres superproductions comme Independence Day, Mission : Impossible II, The Ring, Dragon Rouge, Le Monde de Narnia 1 et bientôt 3 (sur lesquels nous reviendrons prochainement !).
Pour Media Magic, il revient sur sa participation à la saga de Jon Turteltaub, celle que l’on peut voir sur nos écran, et celle que l’on ne verra jamais, avec en exclusivité les storyboards originaux de la séquence de la légende des Francs-Maçons du premier opus!


Comment un étudiant anglais en arts graphiques est-il devenu l’un des principaux artistes de storyboard et illustrateur d’Hollywood ?
C’est une longue histoire ! Ma carrière américaine a débuté effectivement quand je suis arrivé à Los Angeles en 1991, mais j’avais déjà une expérience cinématographique dans la mesure où je venais du monde de la publicité, à Londres, où j’ai travaillé dans ce domaine pendant 12 ans. Il faut savoir que lorsqu’une agence de publicité présente un projet à ses clients, elle le fait à partir de storyboards. Auparavant, je suis allé au Collège en Arts à Londres. Mon intention première n’a jamais été de faire du storyboard. Je souhaitais plutôt devenir dessinateur de BD car j’ai grandi en lisant des comics américains et européens.

Comme Tintin !
Absolument. Tintin est la première BD que j’ai lue, et plus précisément Le Trésor de Rackham Le Rouge. A l’époque, j’étais à mille lieues d’imaginer qu’ils en feraient un film. D’ailleurs, j’adorerais y participer, mais je crois qu’ils vont le produire en Nouvelle-Zélande. Je pense que la BD est une façon de raconter les histoires qui, pour moi, a rendu la transition naturelle vers le storyboard. Je n’avais jamais songé à retranscrire mes idées sous cette forme avant que je découvre l’œuvre de Mentor Huebner et de Sherman Labby, deux grands artistes de storyboard qui ont tous les deux travaillé sur Blade Runner. Et puis, il y a le fait que, pendant que je travaillais dans la publicité, j’ai collaboré avec différents réalisateurs parmi lesquels Martin Campbell, le metteur en scène des deux Zorro.



Votre progression aux Etats-Unis a été fulgurante !
Quand je suis arrivé à Los Angeles, j’ai continué à faire de la publicité, mais j’ai aussi participé à mon premier film, Cobb, juste avant de faire Independence Day, ce qui m’a ouvert pas mal de portes. J’ai alors rejoint le syndicat des artistes de storyboard, car c’est une condition essentielle pour pouvoir travailler avec les grands studios. A partir de là, j’ai fait trois-quatre films par an.



Quel parcours !
Je ne suis pas devenu storyboarder par vocation, mais j’y trouve vraiment mon content à travers cette façon de raconter des histoires et à travers les rencontres que je fais dans le milieu du cinéma. Je ne suis pas le genre de gars qui préfère travailler seul dans son coin. Je le fais occasionnellement, mais la plupart du temps, je travaille au sein du département artistique d’un film. Sur une grosse production, vous pouvez avoir jusqu’à quatre storyboarders et quatre illustrateurs, et nous devons travailler tous ensemble. C’est ainsi que sur Benjamin Gates et le Livre des Secrets, j’ai travaillé en étroite collaboration avec l’un des illustrateurs du film, Nathan Schroeder, sur une scène qui n’a finalement pas été gardée. Nous sommes partis du scénario et nous avons cherché ce que nous pouvions faire du point de vue visuel. Il a créé les designs de cette séquence tandis que je dessinais mes storyboards à partir de ses dessins




Vous étiez déjà familier de l’univers de Benjamin Gates avant de faire Le Livre des Secrets.
Oui. J’avais déjà participé à Benjamin Gates et le Trésor des Templiers. J’ai dessiné la séquence d’ouverture, celle de la légende des francs-maçons, réalisée par Marcus Nispel pour Jon Turteltaub. Vous pouvez d’ailleurs voir l’animatique de cette séquence dans les bonus du DVD qui vient de ressortir, qui se base sur mes storyboards et mes idées pour raconter cette légende. Ce n’est qu’ensuite qu’ils ont fait appel à Marcus pour la réaliser et que j’ai travaillé avec lui. A l’origine, mon idée était d’avoir un seul plan, avec la caméra qui avance d’un seul trait tandis qu’on avance dans le temps. Malheureusement, ils ont dû la modifier pour des raisons de budget. Cela arrive souvent que les choses que vous voyez finalement à l’écran ne correspondent pas tout à fait à ce qui a été imaginé sur storyboard !




L’une des rares fois où mes storyboards ont été suivis de près dans le produit final a été quand j’ai travaillé sur Stranglehold, le jeu vidéo réalisé par John Woo. J’ai passé trois mois dans son bureau à réaliser des dessins pour les cinématiques de son jeu. C’était vraiment intéressant de travailler comme cela pour un support en animation 3D.




Sur quelles séquences avez-vous travaillé sur Le Livre des Secrets ?
La seule séquence sur laquelle j’ai travaillé et qui se retrouve dans le film est la fameuse poursuite dans Londres. Pour cela, mon principal interlocuteur a été le réalisateur de la 2e équipe. J’ai travaillé ici à Los Angeles à partir d’un traitement préliminaire du scénario avec le département de pré-visualisation. A partir de là, ils ont été tourner à Londres où ils ont fait quelques modifications prises en charge par le storyboarder Giles Asbury.





Quelles sont les autres séquences sur lesquelles vous avez travaillé ?
Il y a par exemple une séquence sous-marine, mais j’ai également travaillé sur une nouvelle séquence de « légende », quand Ben regarde le Livre. Vous avez peut-être vu le film Propero’s Books de Peter Greenaway (1991). Eh bien, nous avons repris la même idée, quand le héros lit le livre, d’avoir des lettres qui s’affichent à l’écran, avec un design très particulier. Mais vous savez, deux ans ont passé maintenant depuis que j’ai travaillé sur ce film et il est difficile de dire ce qui est finalement resté de mon travail. Il faut dire qu’au départ, nous avons vraiment eu la possibilité de laisser libre court à notre imagination dans la mesure où, à l’époque, le script n’était pas encore finalisé et j’ai beaucoup travaillé avec Drew Boughton, le superviseur de la direction artistique du film. Nous avons apporté toutes sortes d’idées visuelles, des choses ajoutées par rapport au script original.

Comment avez-vous abordé la nature historique des faits rapportés dans Benjamin Gates et le Livre des Secrets ?
Nous avons tous rassemblé des documents picturaux et autres photos d’œuvres d’art historiques pour stimuler notre imagination. Il y a une bd anglaise, Look and Learn, qui s’inspire également de faits historiques et dans laquelle j’ai puisé. Je me suis également inspiré de revues de National Geographic. Tout ce travail de préparation nous a beaucoup aidés, à ceci près que, pour une séquence pour celle de la Légende du Trésor des Templiers nous en avions pour 3 minutes et qu’il n’en fut gardé que 40 secondes !

Quelle technique utilisez-vous pour dessiner vos storyboards ?
Pour le moment, je reste fidèle au papier et au crayon car il faut se donner un peu de temps pour maîtriser le Cintiq. En fait, au départ, je réalise souvent mes dessins à la peinture et à l’encre avant de reproduire les contours sur un autre papier en bleu (blue line), puis lorsque le dessin me convient, je repasse au crayon noir. Parfois, quand j’ai le temps, je rajoute aussi quelques touches au marqueur. Mais quand je suis pressé par le temps, je commence directement par le bleu. Tout dépend des délais qui vous sont demandés. Ceci dit, je trouve que le Cintiq est un outil fantastique. Il offre toutes sortes de possibilités de traitement de l’image. J’espère me trouver du temps prochainement pour pouvoir m’y familiariser...



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