vendredi, novembre 21, 2008

LA BELLE AU BOIS DORMANT EN EDITION PLATINUM: Entretien avec Mary Costa, la voix originale d'Aurore

Ce qu’il y a de frappant chez les interprètes que Walt Disney choisissait pour incarner ses héros, c’est que non seulement ils étaient parfaits pour le rôle qu’il leur destinait, mais en plus ils incarnaient véritablement dans leur vie personnelle les valeurs du film auquel ils participaient. Il y avait quelque chose de disneyen chez tous les interprètes de Disney ; quelque chose qui dépassait de loin l’éphémère durée d’un contrat. C’est ainsi que Fess Parker (Davy Crockett, 1954-1956) était un homme simple et modeste, issu d’un milieu rural (Texas), qui s’engageait envers la jeunesse pour la promotion des valeurs familiales et américaines comme prévention de la délinquance, que Guy Williams (Zorro, 1957-1961) se montrait souvent en famille, promouvant une éthique du travail toute victorienne, et qu’Hayley Mills (Pollyanna, 1960) se présentait comme une jeune fille à la fois morale et moderne, tout comme Annette. Une dimension moralisatrice certes caractéristique de l’Amérique des années 50-60, mais qui montre bien la grande cohérence des choix de Walt en matière d’interprètes. Ce fut aussi le cas de Mary Costa, dont la voix associait la fraîcheur, la clarté et le naturel que Walt affectionnait à d’indéniables qualités techniques développées au conservatoire de Los Angeles, et que nous avons eu le privilège et l’immense plaisir de rencontrer. Merveilleuse incarnation de la princesse Aurore, elle incarne encore aujourd’hui cet indéfectible optimisme disneyen, tant par sa carrière de chanteuse lyrique que par sa vie personnelle. Personnalité rayonnante et charmante, drôle et pétillante, trait d’union entre cinéma et musique classique, en elle vit tout l’esprit de Walt Disney. Mary Costa nous emporte au beau milieu de son rêve, au coeur de LA BELLE AU BOIS DORMANT.

Pour tout passionné de Disney, c’est un véritable rêve de rencontrer la princesse Aurore !
Je suis très honorée de votre intérêt. Comme vous, j’adore Disney. Il est amusant de penser que, lorsque j’étais enfant, l’un des premiers films que j’ai vu avec ma mère était BLANCHE-NEIGE ET LES SEPT NAINS. J’étais littéralement fascinée. Quand j’y pense maintenant, j’étais très loin de penser que j’allais moi-même devenir une princesse Disney ! Lors d’une convention à Disneyland, Leonard Maltin, présentateur d’Entertainment Tonight et qui travaille beaucoup pour Disney, a diffusé un petit extrait de BLANCHE-NEIGE, juste à la fin du film. La voix de Blanche-Neige était tellement douce, c’était tellement agréable. J’ai alors pensé ‘C’est la seule princesse que je n’ai jamais rencontrée.’ Dans quinze ou vingt ans, je ne serai problablement plus de ce monde, tandis que LA BELLE AU BOIS DORMANT continuera d’être diffusé. C’est quelque chose qui me fait énormément plaisir.

Pouvez-vous nous parler de vos débuts ?
Je suis née à Knoxville, Tennessee. Très jeune, dès l’âge de trois ou quatre ans, j’ai eu une voix chantée très claire et j’exprimais ainsi ma joie de vivre par le chant. Mais chaque fois que quelqu’un venait écouter, je m’arrêtais, parce que c’était quelque chose de très personnel. Quand j’ai eu quatorze ans, mes parents et moi sommes allés à Los Angeles parce que mon père avait de la famille là-bas. Ma tante avait donné un dîner et nous avions tous chanté autour du piano. C’est alors qu’une dame très importante dans le milieu musical de Los Angeles m’a entendue et nous a suggéré que ce serait une bonne idée de déménager pour Glendale pour suivre un enseignement traditionnel là-bas tout en suivant des cours de musique au Conservatoire de Los Angeles. Je n’aurais jamais pensé que mes parents le feraient, mais nous sommes rentrés à Knoxville, et deux mois plus tard, nous étions à Glendale. Ma première apparition scénique à Glendale High School fut à la fois une catastrophe et un triomphe ! J’avais un accent du Sud très marqué, mais il n’apparaissait pas dans ma voix chantée lors des auditions. Ce qui fait qu’on m’a tout de suite donné le rôle principal d’une operette. Mais lorsqu’ensuite on m’a demandé de lire le texte, c’était tout autre chose ! J’ai alors travaillé pendant un mois pour corriger cela. Le jour du spectacle, mes parents étaient assis dans le public, mais ne m’ont pas reconnue ! Mon père a aimé ce que j’ai fait, mais il était déçu parce que je n’étais pas moi-même. Il m’a dit ‘je pense que tu as du talent. Je suis ton père et je souhaite que tu te réalises pleinement. Mais je ne veux pas que tu fasse des choses dans lesquelles tu ne te sentes pas totalement à l’aise. A partir de là, je veux que tu t’appropries ce que tu fais, que tu l’interprètes avec ton propre style. Dieu donne à chacun d’entre nous quelque chose d’unique. Tu as un don, et je veux que tu l’utilises selon ta propre façon de voir les choses, ta propre personnalité.’ J’étais naturellement déçue qu’il ne soit pas totalement satisfait, mais ce fut un conseil très important pour moi, car j’ai reçu le même de la part de Walt Disney. Cette première expérience fut donc capitale pour l’audition que j’allais passer chez Disney.

La famille semble être quelque chose de très important pour vous.
En effet. L’année suivante, à Noël, mon père disparut. J’avais seize ans. Ma mère et moi sommes donc retournées à Knoxville pour les funérailles, et je ne pensais pas qu’elle retournerait en Californie seule avec moi, mais elle l’a fait immédiatement. Nous sommes reparties avec trois cousins et une tante et avons vécu tous ensemble dans une petite maison à Glendale. Ils avaient tous des professions différentes et voulaient absolument que je continue à étudier le chant au conservatoire de Los Angeles. Ils étaient tous derrière moi pour que je perce et que je chante. J’ai pris un agent qui n’était pas très important, mais qui croyait vraiment en moi. Il a décroché pour moi un certain nombre de contrats pour la radio avec Edgar Bergen et Charlie McCarthy [que l’on retrouvera dans COQUIN DE PRINTEMPS en 1947), JN] ou encore Jerry Lewis et Dean Martin à UCLA, ainsi que des publicités.

Comment avez-vous décroché cette fameuse audition aux studios Disney ?
A la fin de mes études au conservatoire, j’avais chanté partout à Glendale et Los Angeles, et mon agent m’a dit ‘je veux que vous rencontriez le réalisateur Frank Tashlin, qui a fait beaucoup de films avec Jerry Lewis. Il est aux studios Paramount. Il vient de terminer SON OF PALEFACE avec Bob Hope et Jane Russel et il s’apprête à tourner une nouvelle comédie musicale.’ Je l’ai donc rencontré. C’était un bon gros ours, si gentil, si doux et je l’intéressais. Il m’a dit ‘Je vais vous trouver un rôle dans un prochain film parce que je crois que vous y seriez excellente’. Je ne sais pas ce qui lui a fait dire cela, mais le résultat est qu’après cette entrevue, je me suis sentie plus confiante et ravie que quelqu’un s’intéresse à moi. Deux semaines plus tard, il appelait mon agent pour lui dire ‘je voudrais inviter Mary à un dîner dans lequel elle pourrait rencontrer des gens très influents dans le milieu musical’. Mon agent lui a répondu qu’il devrait d’abord avoir l’accord de ma mère ! Frank Tashlin a donc rencontré ma mère, qui l’a adoré et qui m’a autorisée à aller à cette soirée. Une fois de plus, nous avons tous chanté autour du piano et le monsieur à ma droite n’arrêtait pas de se pencher en avant pour m’écouter. Il a fini par me dire ‘Je sais que vous êtes une chanteuse professionnelle’. Je lui ai dit ce que j’avais fait depuis mes débuts où je chantais à l’église jusqu’à mes expériences avec Edgar Bergen, Charlie McCarthy et les autres. Il m’a répondu ‘Viendriez-vous avec moi, demain à dix heures, aux Walt Disney Studios car cela fait trois ans que Walt Disney cherche une voix pour la princesse Aurore.’ Je n’y croyais pas ; et je ne pensais pas décrocher ce contrat, ce qui m’intéressait, c’était de rencontrer Walt ! Et je pense que cette personne a dû travailler encore toute la nuit pour appeler les responsables du projet car le lendemain matin, à dix heures, il y avait vingt-cinq à trente personnes dans le studio d’enregistrement : les animateurs Marc Davis, Ollie Johnston, Frank Thomas, le compositeur Winston Hibler et toutes les personnes impliquées dans le film. Cet homme, c’était Walter Schumann, qui avait créé le chœur The Voices of Walter Schumann [également compositeur de LA NUIT DU CHASSEUR en 1955, JN], et il fut déterminant dans ma carrière. Il devait faire la musique de LA BELLE AU BOIS DORMANT, mais il mourut avant [le 21 août 1958, JN].

Comment s’est passée cette audition ?
Ce fut tout simplement l’une des plus grandes joies de ma vie. Il n’y avait qu’un piano droit sur ce grand plateau et cet homme extraordinaire qu’était George Bruns, qui a finalement réalisé la musique du film. Il m’a appris l’appel des oiseaux dans la forêt ainsi que la chanson. J’ai adoré chaque minute de cette audition. Puis, trois personnes, parmi lesquelles Marc Davis et Winston Hibler, sont sorties de la cabine. J’ai compris que quelque chose n’allait pas. Marc Davis m’a dit ‘ne paniquez pas. Nous nous intéressons seulement à votre accent.’ J’ai répondu ‘quel accent !’, parce qu’il est vraiment typique du Sud ! ‘Nous nous sommes dits que si une belle dame anglaise comme Vivien Leigh pouvait imiter l’accent du Sud, une fille du Sud pouvait tout aussi bien jouer une princesse anglaise !’ Je leur ai demandé des précisions et Marc Davis, qui avait un grand sens du théâtre et de l’humour, m’a répondu avec l’accent anglais ‘Pôrriez-vô pârler comme cela ?’ et j’ai dit ‘Certainement, je peux pârler comme cela !’. ‘Comment faites-vous cela ?’ et j’ai dit ‘Je faisais cela avec mon père étant enfant. Nous imitions tout le monde’. Il m’a alors demandé si je pouvais garder cet accent et on m’a alors donné les dialogues car Walt cherchait quelqu’un qui pouvait tout faire. Nous avons travaillé pendant une demie-heure puis nous avons enregistré. J’ai alors demandé ‘puis-je rencontrer monsieur Disney maintenant ?’ et ils m’ont dit ‘Monsieur Disney vous a déjà entendue et vous allez très certainement entrer en contact avec lui’. C’est tout ce qu’ils m’ont dit. J’ai redemandé à le voir, mais ils m’ont répondu que Walt n’aimait pas être influencé par la personnalité et le physique des artistes et que je le rencontrerai en temps voulu. J’étais déçue, mais en même temps très excitée par le fait qu’il m’avait entendue. A cinq heures, j’étais de retour à Glendale en pensant que je n’aurais pas de nouvelles. Ce jour-là, tout le monde, ma mère et mes trois cousins, étaient à la maison quand le téléphone a sonné. Ma mère a décroché et nous nous sommes tous précipités dans le hall qui reliait toutes les pièces. Elle nous a chuchoté ‘Walt Disney’. Il l’a appelée en personne parce qu’il savait par Walter Schumann que j’avais perdu mon père, que nous habitions à Glendale et que tout le monde poussait pour que je réussisse. Il lui a parlé très gentiment avant de me demander. Ce fut ma toute première conversation avec lui, avant de très nombreuses autres à venir. Il me disait ‘Mary, appelez-moi Walt’ et je répondais ‘Oui, oui, Monsieur Disney !’ Il poursuivit ‘Je suis si heureux d’avoir trouvé exactement la voix que je cherchais. Je suis sûr que vous allez faire quelque chose de merveilleux. Je veux que vous soyez très disciplinée car je veux que votre voix soit aussi claire qu’elle l’était lors de cette audition. Je ne vais pas vous voir pendant un certain temps, mais nous parlerons au téléphone. Quand j’estimerai que c’est le bon moment, je viendrai vous voir sur le plateau, mais avant, nous allons parler parce que j’ai beaucoup de choses à vous dire au cours de ces sessions d’enregistrement.’ Ce fut le début de nombreuses conversations, deux à trois fois par semaine. Nous pouvions sauter une semaine ou deux, mais il me téléphonait toujours après chaque session pour me donner des conseils. Il s’est arrêté un moment pour pouvoir ouvrir Disneyland. J’avais 22 ans quand cette aventure a commencé et les enregistrements ont été réalisés sur une période de trois ans.

Pouvez-vous nous parler de Walt ?
Il m’a dit quelque chose qui m’a suivi tout au long de ma carrière. J’en ai souvent parlé, mais à chaque fois, les larmes me viennent : ‘Dieu donne à chacun d’entre nous quelque chose d’unique’ –c’était exactement ce que me disait mon père. ‘Il vous a donné une qualité de voix très inhabituelle et je veux que personne ne vous lise vos textes ou ne chante pour vous vos chansons. Je veux que cela sorte de votre propre personnalité. Je ressens tant de couleurs dans votre voix, c’est comme un kaléidoscope. Allez parler avec Marc Davis -qui est devenu un très grand ami, qui m’a énormément encouragée et inspirée- et demandez-lui tout ce que vous voulez savoir sur chacune de vos scènes, ses attentes, les couleurs dont il a besoin.’ C’est ce que j’ai fait, et j’ai parlé avec Marc Davis des storyboards, du personnage, de ses sentiments envers ses marraines, de ce qu’elle savait de ses parents, etc. Et Walt d’ajouter ‘je veux que vous ayez tous ces éléments et toutes ces couleurs en tête pour les transmettre à votre talent vocal afin que vous peigniez avec votre voix.’ Il était très attentif ‘je veux que vous ayez quelque chose de chaud à manger une heure ou deux avant d’enregistrer. Je veux que vous soyez au meilleur de votre forme’. Plus tard, je me suis souvent demandée comment il savait tout cela, car c’était ce que je faisais tout le temps pour me préparer à l’époque où je chantais à l’opéra. Mais comme vous le savez, il a commencé en faisant lui-même la voix de Mickey, en devant parler de façon très aigue.
Tout cela est resté très vivace en moi tout au long de ma vie, et ce fut le début d’une relation personnelle avec Walt, presque paternelle. Il m’a toujours fascinée, il avait une personnalité comme électrique, il était tellement créatif, et chaque fois qu’il vous parlait, il était électrisant. Il avait tant d’idées merveilleuses. J’ai parlé avec son frère, Roy Disney Senior, dans les années soixante et il m’a dit ‘Walt savait que c’était vous qui alliez être la voix de la princesse Aurore au bout de quatre notes seulement !’
J’ai toujours été intimidée par Walt Disney, on ne pouvait que l’être en sa présence. Il était à la fois naturel et très drôle avec moi parce qu’il savait que je me donnais totalement à ce projet. Un jour il m’a demandé ‘que voulez-vous faire plus tard. Je sais que vous voulez chanter, mais quoi ?’ Je lui ai répondu ‘j’aime chanter toutes sortes de musiques, mais j’aimerais particulièrement chanter de l’opéra.’ J’avais déjà chanté un opéra et j’en avais adoré tous les aspects. Il a alors ajouté ‘c’est un grand projet que de vouloir chanter à l’opéra. Mais si vous avez les quatre D, vous ne pouvez pas échouer : -the Dreams, the Dedication to those dreams, the Determination to make them work out, and the Discipline- Mais vous ne pouvez vous passer de l’un de ces D, vous devez toujours les avoir ensemble.’
Il ajouta : ‘Durant les semaines à venir, vous devrez être au meilleur de votre forme. N’attrapez surtout pas un rhume’. Je lui ai répondu ‘mon père avait l’habitude de me dire : un oiseau ne chante pas parce qu’il est heureux, il est heureux parce qu’il chante. Et j’adore chanter. Alors je vais tout faire pour être au mieux de ma forme.’ Il a répondu ‘OK, happy bird !’ Il m’appelait ainsi parce que je ne l’appelais pas Walt et a continué tant que je ne le faisais pas. Il venait sur le plateau en m’appelant ‘Happy bird’, très fort ! J’ai revu Ollie Johnston la semaine dernière et il m’a accueillie en disant ‘Comment va Happy Bird ?’ et je lui ai dit ‘Ollie, je pensais que vous aviez oublié’ ‘Mais personne ne peut oublier ça !’ Mais le plus émouvant fut juste après mes débuts au Metropolitan Opera de New York en 1964, je suis retournée aux Disney Studios à l’invitation du département Publicity, et juste avant d’y arriver, j’ai vu Walt au milieu de la rue. Il m’a vue en premier et m’a fait signe en criant ‘Happy Bird’. J’ai répondu ‘Hello Walt !’ J’ai alors vu que cela lui avait fait plaisir. Ce fut une grande émotion pour moi de retourner à son bureau, mais le temps que j’arrive il était déjà reparti. Je ne l’ai jamais revu. Mais je ne l’oublierai jamais parce qu’il était la personne la plus positive que j’ai rencontrée. Il m’a autant inspirée personnellement que professionnellement tout au long de ma vie.

Marc Davis a également beaucoup compté dans votre vie.
Il y a trois ans environ, je participais à une séance de dédicaces avec lui à Disney World. Nous étions assis l’un à côté de l’autre et une dame est venue me dire ‘Miss Costa, qu’est-ce que cela fait d’être la voix ajoutée d’une des plus célèbres princesses Disney’, et Marc lui a répondu ‘excusez-moi, madame, mais les artistes étaient l’océan sonore à partir duquel nous animions.’ Je l’ai regardé en riant et il m’a dit ‘C’est absolument vrai. Nous tirions toute notre inspiration de vous avant d’animer. Toutes les parties vocales étaient réalisées en premier.’ Je ne pense pas que les gens se rendent vraiment compte de cela. Marc et Alice, son épouse, qui fut une très grande conceptrice de costumes, sont devenus des amis personnels très très proches. J’ai d’ailleurs parlé lors des funérailles de Marc l’année dernière. C’était un homme qui aimait vraiment les gens et les animaux. Il pouvait regarder un animal et dessiner ses expressions avec jubilation. Il savait faire ressortir la personnalité et le coeur d’une personne ou d’un animal qu’il dessinait. On voyait cet amour dans ses dessins. Lors d’un hommage de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, ils ont montré les premiers dessins de Pan-Pan qu’avait réalisé un autre artiste (ils n’ont pas dit de qui il s’agissait), et ont dit ‘Walt était un tel perfectionniste qu’il voulut voir ce que cela donnerait avec Marc, car il savait qu’il adorait les animaux’. Ils ont projeté à l’écran une page entière de Pan Pan dessinée par Marc et tout le public a été profondément ému. Ses dessins étaient si adorables et si drôles. Marc était quelqu’un qui avait la capacité de faire ressortir le meilleur de vous. Il était très discipliné avec lui-même et son travail était vraiment ce qu’il adorait faire dans la vie : dessiner et mettre de la vie dans des dessins. A l’époque où, sur l’invitation de Walt Disney, nous travaillions ensemble et je lui posais toutes sortes de questions, à la fin de la semaine, je lui en posai une sensée le faire rire : ‘Marc, comment pensez-vous que l’air soit dans la forêt ?’ et il m’a immédiatement répondu ‘caressant’. Cela m’a vraiment marqué et a changé toute mon interprétation de cette scène. Les couleurs sont devenues pour moi plus dorées, comme après la pluie. Je lui ai dit que c’était sensé le faire rire, mais il a répondu ‘Vous pouvez toujours me faire rire, mais c’était une question très importante !’ C’était quelqu’un de très réceptif et en même temps quelqu’un qui savait inspirer les gens dans sa façon de réagir, de répondre. C’était un très grand ami et il savait trouver quelque chose d’amusant dans tout. Il était extraordinairement sensible et intuitif ; rien n’échappait à son oeil et son oeil était directement relié à son coeur. C’est une chose capitale encore aujourd’hui pour tous les artistes, que ce soit dans le chant, la peinture, la danse ou le théâtre : c’est le coeur qui doit parler, c’est lui qui a la capacité de capter le public.

LA BELLE AU BOIS DORMANT est aussi la première contribution majeure de George Bruns au dessin-animé.
George Bruns était, comme Frank Tashlin, un bon gros ours. Ils étaient d’ailleurs très amis. Je dois également vous dire que l’année suivante, j’épousais Frank Tashlin ! George Bruns avait un don particulier pour l’orchestration et l’arrangement. Son travail sur LA BELLE AU BOIS DORMANT est vraiment merveilleux. Walt était littéralement fasciné par la musique du ballet de Piotr Illitch Tchaïkovski et quand il m’en parlait, il évoquait la façon dont tous les animaux pouvaient être mis en musique, comment tous leurs mouvements pouvaient se marier avec les petites phrases de la musique, et comment les mélodies romantiques s’intégraient merveilleusement dans l’histoire. Et George Bruns savait tout cela aussi. Il était très sensible, c’était un musicien inné. Ce qui faisait qu’il pouvait tout naturellement travailler avec Walt. Ils étaient vraiment sur la même longueur d’onde. Il avait aussi un grand sens de l’humour. Il faut dire qu’il y avait une telle ambiance. C’est ce qui faisait toute la particularité de LA BELLE AU BOIS DORMANT. Tout le monde venait travailler parce qu’il se sentait passionné par ce projet, parce que Walt était passionné et qu’il se réjouissait à chaque avancée.

Quel est votre sentiment sur le film ?
LA BELLE AU BOIS DORMANT est pour moi comme une belle capsule temporelle de verre dans laquelle les moments les plus heureux de ma jeunesse ont été préservés et éternellement scellés. J’ai été élevée de façon très traditionnelle dans le Tennessee, ainsi qu’à Glendale, dont l’école proposait aussi une éducation très traditionaliste. J’ai eu une enfance merveilleuse jusqu’à la disparition de mon père. C’est toute cette joie que j’ai voulu exprimer dans le rôle d’Aurore. Je ressens cela car je suis heureuse de penser que les gens de tous âges vont pouvoir profiter de ce chef-d’oeuvre intemporel et j’espère qu’ils ressentiront tout l’amour et la sincérité que nous y avons mis, car tout le monde voulait vraiment qu’il soit parfait. Nous savions que c’était le rêve de Walt de donner vie à la musique de Tchaïkovski. Je travaille maintenant dans le domaine de la santé des enfants, notamment en faveur des enfants maltraités, et Disney m’aide souvent dans cette tâche. Il y a cinq ans, le film a été présenté à Knoxville, à l’ancien Tennessee Theater, un magnifique cinéma à l’ancienne avec des dorures et une grande scène. J’ai présenté le film et suis allée m’asseoir avec le public. Cela faisait longtemps que je ne l’avais regardé et j’étais tellement fière d’en avoir fait partie parce que je pense qu’il s’agit vraiment d’un chef-d’oeuvre, d’une véritable oeuvre d’art. Chaque partie de ce film est une oeuvre d’art. Prenez les décors d’Evynd Earle, l’animation. J’ai vraiment eu une chance fabuleuse que ce film fasse partie de mon voyage.

Pour moi, ce film, cette mise en image, en dessin-animé de la musique de Tchaïkovski, est en quelque sorte la continuation de FANTASIA.
Je suis totalement d’accord avec vous. Je n’avais jamais entendu cela, je n’y avais personnellement jamais songé, mais c’est absolument cela !

Comment s’est passé l’enregistrement des chansons ?
Nous avons tout d’abord enregistré avec piano, sur deux pistes différentes avant qu’on ne fasse l’orchestration. On m’a ensuite mise au milieu de l’orchestre, puis on m’a de nouveau enregistrée tandis que j’entendais l’orchestre dans un casque. De cette façon, avec deux pistes différentes, il était possible de revenir dessus et faire des corrections. Tout cela s’est fait dans la première année. Mais George Bruns avait fait exactement ce qu’il voulait faire avec ces mélodies parmi les plus belles jamais écrites, Once Upon a Dream et I Wonder. Il n’y a eu pratiquement rien à retoucher après ces enregistrements, tout comme pour les dialogues. On ne pouvait pas se permettre de refaire une scène entière après animation, c’est pourquoi les enregistrements furent extrêmement méticuleux et nous avons fait un très grand nombre de prises. Nous avons donc fait quelques retouches, quelques coupures jusqu’à ce que ce soit vraiment parfait, que cela corresponde exactement à ce qu’ils voulaient. Je me souviens d’une scène supprimée, avec le prince et moi dans un duo puis je chante seule avec la musique dans un registre très aigu, comme les oiseaux, une scène que j’ai revue il y a deux ans avec beaucoup d’émotion. C’était étonnant !

Comment décririez-vous votre personnage, la princesse Aurore ?
Elle est un peu comme moi à l’époque de l’enregistrement. J’ai grandi au milieu d’une famille très aimante, en particulier mon père, mais aussi mes grands-parents, et Aurore a été élevée par ses trois marraines les bonnes fées qui étaient gentilles, espiègles, aimantes et protectrices. Dans la forêt, elle aimait être avec les animaux, chacun ayant une personnalité différente. Elle jouait avec eux sans avoir conscience qu’elle se comportait avec eux comme avec de vraies personnes. Pour moi, Aurore n’est pas seule, mais particulièrement romantique. Il y a une part en elle qui attend quelque chose, mais elle ne sait pas encore quoi, quelque chose de différent. Elle est innocente, mais en même temps, elle déborde de qualités, davantage même qu’une personne qui a vécu toute son enfance avec ses parents, peut être parce qu’elle a vécu avec les fées, qui sont plus âgées que ses parents. Elle se trouve dans un corps de jeune fille, mais elle possède de nombreuses caractéristiques d’une femme plus âgée. Elle n’a jamais vu un prince, et lorsqu’elle voit Philippe, cela ne pouvait être que le coup de foudre. C’était une réaction naturelle. En tout cas, ce n’est pas un personnage aussi simple que la plupart des gens le pensent. Elle n’est pas solitaire, c’est une personne tournée vers les autres, aimante, et je pense qu’elle aimait cette vie car elle ne connaissait rien d’autre. Elle était proche des choses qui sont vraiment essentielles dans la vie. Je souhaite que les enfants d’aujourd’hui soient plus conscients des choses essentielles. Ils sont rivés sur internet, ce qui fait qu’ils ne peuvent apprécier autant la nature ou les animaux, ou leurs parents, ceux qui les ont élevés. Elle est aussi très respectueuse des autres. Tout cela lui vient de Marc Davis. Quand j’y repense, Aurore est vraiment comme moi. Je me souviens, quand ma mère avait 97 ans (elle a vécu jusqu’à 101 ans), je l’ai emmenée voir LA BELLE AU BOIS DORMANT au cinéma. C’était dans les années 80 à Palm Beach. La salle était pleine, et juste au milieu du film de la scène dans la forêt, elle s’est exclamée d’une voix forte ‘Oh Mary, on dirait vraiment toi !’ J’ai tout de suite mis ma main sur sa bouche ! Je m’en souviendrai toujours ! Il faut dire que Marc Davis venait à toutes les scéances d’enregistrement pour voir mes mouvements car je ne pouvais pas dire mon texte sans bouger (mon père était pareil, c’est notre côté italien !) et les mouvements d’Aurore sont très proches des miens. Ma mère a adoré ce film !

Mary Costa a donc commencé à travailler en 1952 sur LA BELLE AU BOIS DORMANT, et l’année suivante, après son mariage avec Frank Tashlin, tout en continuant les enregistrements d’Aurore, elle participe à plusieurs productions dirigées par son mari : la comédie MARRY ME AGAIN, THE GREAT GILDERSLEEVE, sa première apparition télévisuelle, et une émission spéciale avec Johnny Mathis. Elle participera d’ailleurs à un grand nombre d’émissions entre 1955 et 1960. Ce n’est qu’à partir de 1958, sur les conseils avisés de Walt Disney et du violoniste Jack Benny qu’elle décide de se lancer dans l’opéra. Après des critiques fabuleuses suite à son passage dans le « Jack Benny Show » dans lequel elle interprète un air de MADAME BUTTERFLY, elle remplace Elisabeth Schwarzkopf lors d’un concert au Hollywood Bowl. Sa carrière était lancée. Elle allait alors parcourir le monde, passant par le Met, l’opéra de Rome, Covent Garden, le Bolchoï sous la direction des plus grands compositeurs et chefs d’orchestre. Elle crée ainsi le rôle d’Anne Trulove dans THE RAKE’S PROGRESS d’Igor Stravinski à l’opéra de San Francisco, pour lequel elle travaille avec le compositeur lui-même, dans sa maison de Los Angeles, durant l’été 1962 et chantera plusieurs fois dans CANDIDE de Leonard Bernstein, qui incarnait, tout comme elle, l’union du cinéma et de la musique classique. Comment s’est passée votre rencontre avec Leonard Bernstein ?
Je crois beaucoup au destin, que les gens ont un voyage à accomplir, et cette histoire en est un exemple. Après mon premier opéra, THE BARTENED BRIDE, au Shrine Auditorium de Los Angeles, devant 7000 enfants, le producteur Karl Ebert, un allemand qui vivait à Londres et qui était venu aux Etats-Unis pour monter cette production, m’a emmenée avec lui au festive de Glyndebourne, près de Londres. Un producteur anglais était sur le point de monter CANDIDE à Londres. Il m’a entendue dans cette production du SECRET OF SUZANNE. Il m’a demandé si j’avais déjà vu CANDIDE, et par un heureux hasard, j’avais des billets pour la tournée qui se préparait aux Etats-Unis, pour mon retour là-bas. Il m’a dit ‘je veux que vous rencontriez Leonard Bernstein, parce que je vous veux ici dans cet opéra. Je vais l’appeler pour qu’il vous entende.’ J’étais absente de Los Angeles depuis trois mois et mon mari enchaînait les films quand, à mon retour, le manager de Leonard Bernstein m’a appelée pour me demander de passer une audition quand je passerai à New York. Mais j’ai refusé car je venais juste de rentrer après une longue période d’absence loin de mon époux, mais il m’a alors suggeré d’auditionner devant son ami Lucas Foss à Los Angeles. J’ai appris une aria de CANDIDE en une nuit et je l’ai chantée devant lui. Lucas Foss a alors appelé Leonard Bernstein chez lui car il était ravi de mon interprétation, mais ce fut son employée qui répondit car il venait de sortir précisément pour des auditions. Or, pendant la conversation, Leonard Bernstein s’était rendu compte qu’il avait oublié ses clefs de voiture et il est revenu chez lui. Lucas Foss et lui ont discuté et Leonard Berstein a donné son accord pour la tournée car il n’avait encore personne pour le rôle. Il aurait très bien pu aller à son audition et trouver quelqu’un ce jour-là, mais il est revenu prendre ses clefs ! Vingt jours plus tard, j’étais en Pensylvanie pour les répétitions et la Première sous la direction du compositeur. C’est là que j’ai pu faire sa connaissance. Il était un peu comme Walt Disney, très rapide, très musicien, très drôle, jubilant dans le travail, il voulait que tout le monde soit très précis, que nous suivions très précisément son geste. Nous nous sommes très bien entendus. C’était en 1958. Plus tard, en 1970, il a fait de nouveau appel à moi pour une grande production de CANDIDE qui a démarré à San Francisco, puis Los Angeles, pour finir à l’inauguration du nouvel opéra du Kennedy Center à Washington D.C. J’ai donc beaucoup travaillé avec lui. J’ai de grands souvenirs de lui lors de dîners après les répétitions. Il savait nous mettre à l’aise. Il n’était que musique.

Mary Costa compte 44 opéras à son répertoire, qu’elle a interprétés jusqu’en 1984, date à laquelle elle se retira pour s’occuper de sa mère, Hazel, disparue en 1993.

Aujourd’hui, vous restez toujours très attachée à Disney.
Je suis une sorte d’ambassadrice, notamment auprès des enfants [Mary Costa est ambassadrice de Childhelp USA, une association venant en aide aux enfants maltraités, JN]. Je récolte des fonds pour les aider, je leur lis des histoires (car je pense que la lecture est quelque chose de fondamental), nous parlons ensemble. Vous savez, je suis l’une des dernières personnes ayant participé à ce film qui ne soit pas encore partie pour l’autre monde. Nous ne sommes pas nombreux. Il n’empêche que je me sens toujours jeune de coeur. Chaque fois que je vais à Disney World ou que je participe à un événement à Disneyland, les fans sont toujours si positifs et énergiques et quand je reviens chez moi, je suis pleine de cette énergie. C’est quelque chose que je tiens aussi de mes parents et de Walt Disney, nous avons toujours eu une attitude très positive, nous aimons beaucoup rire. J’aime aussi beaucoup la France. J’ai notamment chanté avec la troupe de l’opéra de Paris, ce fut un grand souvenir. J’aime les films français et la culture française. De plus, je suis très impatiente de venir un jour visiter le Château de la Belle au Bois Dormant à Disneyland Paris !