dimanche, décembre 14, 2008

MULAN - EDITION MUSICALE: Entretien avec le réalisateur Tony Bancroft

Suite de notre série consacrée aux éditions musicales dvd de Grands Classiques Disney avec l'"Edition Musicale Exclusive" de Mulan. Une appellation très juste quand on pense aux liens étroits existant entre l'animation et la musique et notamment aux termes (techniques) que les deux arts ont en commun: "beat and rhythm”, “timing”,“slow-in ; slow-out”, etc.
On parle souvent des animateurs comme des acteurs avec un crayon, mais on pourrait tout autant en parler en tant que "musiciens avec un crayon".
L'histoire de l'animation est peuplée d'animateurs ayant un lien très étroit avec la musique, à commencer par Walt Disney lui-même. Le fait est que l'animation a suscité certaines des plus belles partitions de l'histoire de la musique, mais l'inverse est aussi vrai: les plus belles chansons ont inspiré les plus belles séquences d'animation.
Tony Bancroft fait partie de ces artistes pour qui la musique fait partie intégrante de leur art, bien plus qu'un simple accompagnement. Quand on rencontre un animateur, on parle souvent avec lui de ses influences artistiques, mais rarement de ses influences musicales. La sortie de cette édition très spéciale était l'occasion de le faire avec le co-réalisateur de Mulan.
Comment se sont passés vos débuts à Cal Arts. Qui furent vos maîtres ?
J’étais à Cal Arts en 1988 et 1989. J’ai sans doute eu les plus grands maîtres de l’animation comme professeurs. La plupart d’entre eux travaillaient à Disney pendant la journée et donnaient des cours le soir. Mon professeur préféré était Joe Ranft, qui enseignait la création d’histoires. Mon professeur d’animation, il s’agissait de Chris Buck, l’un des réalisateurs de TARZAN et mon professeur de design était Michael Giamo, le directeur artistique de POCAHONTAS. J’ai beaucoup appris pendant ces années.

Qui est votre animateur préféré ?
Je dirais Frank Thomas. Pour moi, c’était un très grand animateur qui avait un grand sens du jeu d’acteur. Il avait une attention toute particulière à la vie qu’il insufflait dans ses dessins. J’adore aussi Ollie Johnson, qui dessinait plus vite que Frank, et peut-être mieux que lui (même si, à ce niveau d’excellence, cela ne veut pas dire grand’chose), mais je trouve que le temps que ce dernier accordait à ses dessins faisait qu’il parlait au plus profond du cœur du public.

Pouvez-vous nous parler de vos débuts chez Disney ?
Le premier film auquel j’ai participé était BERNARD ET BIANCA AU PAYS DES KANGOUROUS, pour lequel j’ai simplement participé à l’animation de Frank le lézard. Ce furent en quelque sorte mes premières armes. C’est alors que j’ai été promu animateur à part entière pour Big Ben, dans LA BELLE ET LA BÊTE. Quand on débute comme cela dans le métier, on dépend d’un animateur superviseur qui fait office de mentor. Et pour moi, ce mentor fut Will Finn (animateur de Iago, et réalisateur de LA FERME SE REBELLE). C’est un spécialiste des personnages comiques, ce qui fait que j’ai beaucoup appris. J’ai animé Big Ben lors de notre première rencontre avec la Bête, tandis qu’il se cache sous le tapis, ainsi que la scène de l’attaque du château, tandis qu’il brandit ses ciseaux et que Lumière l’embrasse! Entre autres, car à un animateur débutant, on donne beaucoup de petites scènes éparses.

Quelle fut votre implication dans la séquence Be Our Guest ?
C’est Will Finn qui a animé tout cette scène pour Big Ben car c’était l’une des premières scènes à être mise en production. Par contre, je me suis occupé des chopes de bières qui dansent en arrière plan !

Ensuite, c’est encore sous la supervision de Will Finn que vous animez Iago dans ALADDIN.
En effet, et j’ai pu animer des scènes beaucoup plus intéressantes sur ce second film sous sa supervision.

Comment êtes-vous devenu superviseur de Pumbaa sur LE ROI LION ?
C’était l’époque où Jeffrey Katzenberg avait lancé l’idée de produire un dessin animé par an, ce qui fait qu’il devait y avoir deux équipes d’animation différentes. De fait, tous les grands superviseurs comme Glen Keane, John Pomeroy ou Duncan Marjoribanks ont préféré se consacrer à POCAHONTAS et il a fallu mettre sur pied une toute nouvelle équipe pour LE ROI LION. Andreas Deja fut le seul vétéran a rester sur ce projet car il aimait davantage les animaux. Ce fut donc une grande opportunité pour moi et Mike Surrey, qui allait devenir le superviseur de Timon, de passer au degré supérieur et de superviser un personnage. Auparavant, il était très difficile de passer un échelon. Il fallait presque attendre qu’un des vétérans parte à la retraite ! Mais avec deux films en production en même temps, cela permettait de renouveler les équipes plus rapidement.

Quelle fut la genèse de la fameuse séquence L’Amour Brille Sous Les Etoiles ?
Mes premiers souvenirs sont ceux d’une très belle chanson composée par Elton John et Tim Rice, mais plus longue que la version définitive. A cette époque, le film avait besoin d’un numéro de comédie qui permette de mettre Timon et Pumbaa en valeur. C’est ainsi que les réalisateurs ont pensé que ce serait une bonne idée si le fameux duo se moquait de la traditionnelle ballade émotionnelle que l’on retrouve dans la plupart des films et qu’ils chantent le dernier couplet en entier. Pumbaa devenait très romantique, à tel point qu’il se mettait à pleurer en voyant Simba et Nala tandis que Timon est très contrarié de voir leur ami s’éloigner d’eux. Pour la première version du storyboard, ce sont les réalisateurs qui ont fait les voix de Timon et Pumbaa avant de montrer cette version à Elton John. Et il a vraiment détesté ! C’était pour lui la pire idée qu’on puisse avoir pour utiliser cette chanson dont il était si fier. A tel point qu’il menacer de quitter le film. En voyant cela, les réalisateurs et le producteur ont tout fait pour l’apaiser et lui montrer que ce qu’ils avaient fait n’était que dans un but comique, sans désir d’agresser qui que ce soit. Elton John a donc accepté de réécrire sa chanson de sorte à intégrer Timon et Pumbaa de façon plus harmonieuse. A mon avis, grâce à cela, ce fut un grand succès : on a pu ainsi conserver la ballade romantique, sans qu’elle arrête le cours de l’histoire. Au contraire, elle la fait avancer de façon naturelle et à la fois émotionnelle et comique. Quant à son idée originale, elle a pu être totalement respectée dans la version « radio » de la chanson.

Vous avez ensuite participé au BOSSU DE NOTRE DAME.
J’y ai travaillé pendant sept à huit mois après LE ROI LION à aider à créer les personnages des Gargouilles. J’ai eu grand plaisir à y participer car c’était un film plein de promesses. Et la musique d’Alan Menken, avec lequel j’ai eu le plaisir de collaborer aux tout débuts de ce film, est vraiment magnifique.

Comment devenu réalisateur de MULAN ?
J’ai toujours rêvé de devenir réalisateur, mais je savais que cela prenait dix à quinze ans chez Disney pour qu’on vous confie un film dans son entier. Il faut vraiment faire ses preuves, et je n’espérais vraiment rien à cette époque. C’est alors que Tom Schumacher a confié à Rob Minkoff, l’un des réalisateurs du ROI LION, qu’il cherchait un co-réalisateur pour travailler avec Barry Cook dans les studios Disney de Floride sur MULAN. Comme Rob et moi étions amis depuis un certain temps et qu’il avait apprécié mon travail sur Pumbaa, il m’a proposé à Tom. Et c’est grâce à cette recommandation que je suis devenu co-réalisateur de MULAN. Je connaissais les studios de Floride quand j’ai travaillé sur ROLLER COASTER RABBIT et BERNARD ET BIANCA AU PAYS DES KANGOUROUS, ainsi que les grands animateurs qui y oeuvraient comme Mark Henn ou Alex Kuperschmidt, ce qui a également beaucoup plu aux responsable de Disney.

Comment s’est passé le choix de Rachel Portman comme compositrice de la musique de MULAN ?
Nous avons écouté énormément de compositeurs. A un moment, nous avons songé à Danny Elfman, car Barry et moi adorions sa musique, mais il était indisponible. Nous avons aussi pensé à Thomas Newman à un moment. Et c’est alors que nous avons entendu la musique de Rachel Portman. Nous avons trouvé qu’elle avait un très beau côté émotionnel, tout en sachant insuffler de l’énergie à ses partitions dans les moments d’action. Nous l’avons donc contacté, elle a accepté et commencé à travailler pendant une courte période. C’est alors qu’elle est devenue enceinte et qu’elle voulait que sa grossesse se passe dans les meilleures conditions. De plus, l’accouchement devait avoir lieu au moment précis des sessions, ce qui aurait été la pire période pour cela. Je pense pour toutes ces raisons qu’elle a eu raison de se retirer, et nous avons eu la chance que Jerry Goldsmith soit disponible précisément à ce moment. Nous l’avions également contacté durant la pré-production, mais comme il était sur un projet, nous n’avons pas pu l’avoir. Par chance, le film sur lequel il travaillait est tombé à l’eau au bon moment et nous avons sauté sur l’occasion.

Comment s’est passée votre collaboration avec lui ?
Nous avons découpé le film en quinze à vingt séquences que nous étudions une à une avec Jerry du point de vue des émotions. Nous avons aussi parlé des thèmes qu’il faudrait créer pour Mulan et pour Shan Yu, pour bien marquer la lutte du bien contre le mal. Il y eut plusieurs versions et nous sommes arrivés à ce que nous voulions. En fait, il a commencé par le thème de Shan Yu, et après en avoir discuté avec nous, il a composé toute une séquence, puis les autres ainsi de suite. Ce ne fut pas sans mal. Les plus grosses difficultés que nous avons eues avec lui concernent la scène dans laquelle Mulan se coupe les cheveux pour partir à la guerre à la place de son père. C’est un moment essentiel, et quand nous l’avons storyboardé, c’était sur un rock uniquement instrumental et très percussif. Nous lui avons présenté toute cette séquence de transformation sur cette même musique, mais lui n’a pas compris son unité, et préférait la mettre en musique en utilisant des tempi différents : un pour le temple, un pour la scène où Mulan subtilise l’ordre de conscription, un pour le moment où elle se coupe les cheveux, un pour son départ et enfin pour le réveil de la grand-mère. Nous avons essayé de le convaincre, mais ce fut très difficile : c’était le grand Jerry Goldsmith, compositeur multi-oscarisé, et nous n’étions que des réalisateurs débutants. Je me souviens que Barry et moi nous sentions comme des enfants devant lui quand nous allions chez lui, dans son studio. Imaginez notre embarras pour lui dire : « je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution. Ne pouvons-nous pas essayer quelque chose d’autre, avec plus de percussions ?... » J’en ris encore quand j’y repense. Et finalement, je pense qu’il a finalement compris toute la signification de cette séquence et qu’il a su trouver la musique qui convenait.

Comment s’est passé le choix des compositeurs des chansons ?
Disney voulait donner un son différent à ses chansons et s’est mis à la recherche d’une équipe intéressant de compositeur et parolier. David Zippel venait de Broadway et avait écrit les paroles des chansons d’HERCULE avec Alan Menken, et Disney a imaginé l’associer à Matthew Wilder, qui venait du monde pop-rock. Je crois qu’il a approché Disney pour se proposer de faire quelque chose avec eux quand il a vu LE ROI LION. C’était deux sensibilités très différentes, mais la mayonnaise a bien pris, en particulier, d’après moi, sur Comme Un Homme.

Pouvez-vous nous parler des chansons supprimées dans le montage final?
Nous avions imaginé une chanson pour Mushu et nous en avons fait deux ou trois versions. Nous en avons même storyboardé une. Mais à chaque fois que nous la placions dans le film, cela ne fonctionnait plus. Cela rompait le rythme narratif du film. Nous nous sommes donc rabattus sur des dialogues. C’était plus court, plus efficace, et finalement plus drôle. D’autre part, la chanson de Mulan, Reflection, était sensée être au moins deux fois plus longue, avec un couplet et un refrain supplémentaires, mais cela freinait également le film. On a donc gardé l’émotion, le sentiment, mais dans une version plus courte.

Comment est née l’idée d’un acteur afro américain pour un dragon chinois ?…
Dès le départ, nous nous sommes dits que, dans la mesure où Mushu était un personnage mythologique, magique, nous pouvions nous permettre certaines choses dans le casting des voix. Nous voulions que Mushu soit l’opposé de Mulan : il est son guide vers un monde totalement nouveau pour elle, dans lequel elle n’a pas sa place. Elle représente les valeurs chinoises, le respect, l’amour filial pour son père et il fallait que sa voix incarne ces valeurs. La voix d’une actrice chinoise comme Ming-Na était parfaite. Pour Mushu, nous avons réfléchi au contraste que nous pourrions créer en faisant appel à des acteurs comme Billy Cristal ou Joe Pesci : un gars des rues de New York en quelque sorte. Mais cela ressemblait trop à ce qui avait été fait sur HERCULE, ou même avec Timon sur LE ROI LION. Mushu devait être unique, et nous nous sommes mis à auditionner un grand nombre d’acteurs afro-américains pour finalement porter notre choix sur Eddie Murphy.

La scène de la rencontre entre Mulan et Mushu, dans laquelle ce dernier se présente comme un pasteur noir faisant un sermon enflammé, est à ce titre particulièrement éloquente et savoureuse !
C’est précisément le moment où il devait y avoir la chanson de Mushu. Mais quand nous avons abandonné l’idée du chant, nous avons recherché des idées pour une grande entrée du petit dragon. Nous nous sommes alors tournés vers les grandes séquences de ce type que nous connaissions, comme celle de La Nuit Sur Le Mont Chauve de FANTASIA avec Chernobog, ce démon infernal avec toutes ces ombres démoniaques qu’il projette, et nous nous en sommes inspirés avant de révéler la petite taille de Mushu. La voix est celle d’un géant, mais quand on découvre sa taille réelle, on s’aperçoit que ce n’est « que de la bouche » ! Nous nous sommes beaucoup amusé à réaliser cette séquence.

On vous doit également l’irrésistible Kronk de KUZCO L’EMPEREUR MEGALO.
Après avoir dirigé MULAN, j’avais besoin de retourner à l’animation. J’avais animé cinq scènes de mon film, mais je voulais vraiment me consacrer à un personnage. J’ai choisi KUZCO L’EMPEREUR MEGALO parce que trouvais qu’il était vraiment très drôle, passionnant et différent pour Disney, un peu comme les cartoons de la Warner s’étaient transformés en long-métrage du point de vue du timing et du sens de la comédie. Je voulais vraiment en être, et pour moi, le personnage le plus intéressant du film était vraiment Kronk. Au départ, ce devait être un personnage de moindre importance, avec moins de dialogues et moins de présence à l’écran. Mais il s’est avéré que Kronk est un « voleur de scène » : un personnage comique qui, bien qu’il ne soit pas au premier plan, récolte tous les rires ! Quand j’ai entendu la voix de Patrick Warburton, je me suis dit qu’il était tout simplement parfait : c’est l’une des meilleures voix avec lesquelles il m’a été donné de travailler. Ce fut aussi une grande première pour moi dans la mesure où c’était le premier personnage humain que je supervisais. Auparavant, j’avais animé une horloge, un phacochère ou un lézard, mais jamais d’humain.

On comprend pourquoi la suite de KUZCO, KRONK’S NEW GROOVE, lui sera consacrée !...
Absolument. Et je regrette d’autant plus de ne pas pouvoir suivre ce personnage dans ses nouvelles aventures. Mais je suis très fier qu’il ait son propre film !

MULAN vient de sortir en édition musicale. Quelle est votre relation personnelle à la musique ?
La musique est ma source d’inspiration. Un grand nombre des projets auxquels j’ai participé, comme ONE BY ONE, ont reçu une grande impulsion de la musique. Que ce soit pour MULAN ou pour LES ORIGINES DE STITCH, à chaque fois que j’anime, même si la musique originale n’est pas encore composée, j’ai toujours une musique en tête. Tout comme l’animation, la musique est une question de timing, de rythmes et de mouvements avec des tensions et des détentes, et par-dessus tout, l’expression de sentiments. L’accord de la musique et de l’animation est comme une sorte de merveilleuse chorégraphie.