vendredi, janvier 09, 2009

PRINCE CASPIAN EN VIDEO: Entretien avec le directeur artistique Frank Walsh (2)

Dans le livre Prince Caspian de C.S. Lewis, la victoire sourit aux anciens Narnian, lorsque les Arbres Réveillés poussent l’armée Telmarine dans la Grande Rivière, où le pont Beruna n’existe plus, détruit la veille par Bacchus et son peuple, libérant par la même occasion le Dieu de la Rivière dans un foisonnement poétique d’aubépine et de lierre.
Mais le réalisateur Andrew Adamson, a décidé de faire de la destruction du pont le point culminant du film, à la fois pour l’image et pour l’histoire, avec le Dieu de la Rivière en personne venant à l’aide pour défaire les Telmarines, dans des gerbes d’eau jaillissantes et bouillonnantes.
Techniquement parlant, ce ne fut pas une mince affaire. Par contre ce fut un défi passionnant pour la personne qui avait déjà réussi avec succès la direction artistique de la construction du Château de Miraz et la Bataille finale d’Aslan, ainsi que vous l’avez lu dans
notre précédent article sur le sujet.

Pour fêter la sortie en DVD et Blu-ray de Prince Caspian, nous accueillons de nouveau Franck Walsh pour une ultime (mais pas des moindres) présentation des coulisses de la réalisation du second chapitre de la saga du Monde de Narnia, avec, pour illustrer ce propos, des documents inédits, plans et photos du titanesque chantier qui a conduit à la construction du pont de Beruna.

Dites moi Frank, quel sera le sujet de votre dernière histoire sur Prince Caspian ? Vers la fin de Prince Caspian, il y a une scène de bravoure où l’armée Telmarine, conduite par le Roi Miraz, marche contre les Narnians. Le réalisateur Andrew Adamson a voulu que la bataille finale mette en scène Lord Sopespian conduisant son armée et devant traverser un fleuve monstrueux à gué afin de se trouver à portée de son ennemi. De la même façon que Jules César en 56 avant J.C. avait envoyé son armée contre les tribus Germaines en construisant un pont sur le Rhin, Andrew nous donna la tâche d’accomplir la même chose pour le film. César avait eu dix jours pour accomplir sa tâche, nous en avons eu 40, accompagné par une inondation prévisible.


Tout d’abord, comment avez vous fait pour trouver le lieu idéal pour le tournage de cette scène ?
Une recherche étendue dans le monde entier nous a conduit vers cette vallée et cette rivière en Slovénie, qui avait la dimension requise selon la vision d’Andrew, et correspondait en raccord avec les autres prises vues qu’il allait tourner en Nouvelle Zélande. La rivière Bovec qui provient de la fonte d’un glacier est vraiment un lieu qui nous a laissés sans voix, et je l’ai visité pour la première fois avec Andrew et Roger Ford, le production designer au début de l’hiver. Le fleuve était gonflé par la fonte des neiges et ne ressemblait plus à un torrent qui faisait rage mais avait 60 mètres de large et environ 4 à 5 mètres de profondeur en son milieu. Je me souviens que je me tenais debout au milieu du groupe des producteurs, tous les yeux braqués sur moi, me regardant pour essayer de savoir si c’était une blague idiote ou pas : je n’étais pas vraiment sûr qu’ils me croyaient quand je leur disais que c’était possible. Je n’étais pas tout à fait sûr d’être totalement convaincu moi même, mais je savais que j’avais une très bonne équipe avec moi qui pourrait rendre les choses possibles.

Une entreprise ambitieuse, pour ne pas dire dangereuse qui allait être rendue plus compliquée encore par des restrictions additionnelles importantes comme un accès difficile, la proximité d’un parc national, ainsi que des habitations en aval. Les obligations majeures exigées par les autorités étaient que nous ne pouvions incorporer aucun élément qui puisse mettre en danger l’environnement. Tout ce qui était construit devait être entièrement enlevé après les prises de vue, sans laisser de trace, et toutes les constructions entreprises devaient prendre en compte des conditions climatiques exceptionnelles que l’on ne voit qu’une fois tous les cent ans pour ne pas mettre en danger les habitations des communautés situées en aval.

Comment s'est passée la conception du pont ?
Bien que la Slovénie n’ait pas une très longue expérience des longs métrages occidentaux, nous avons eu la chance de trouver sur place un très bon art director, qui, comme moi, et comme beaucoup des éléments clefs de mon équipe, bénéficiait de solides bases d’architecture. C’était impératif, pour pouvoir nous assurer que les permissions des différents ministères et des autorités locales autour de la rivière soient adressées professionnellement à notre producteur de Slovénie, de travailler avec lui pour parer toutes les objections qui étaient levées.


Le design du pont devait le faire ressembler à un assemblage d’arbres rapidement regroupés, pourtant il devait être suffisamment solide pour supporter l’unité de tournage, les acteurs et les figurants, quel que soit le temps et de résister au courant extrême de la rivière, tout en étant rapide à construire puis à démonter.

A cause des conditions géographiques locales et des contraintes ajoutées par les autorités de Slovénie, nous avons dû utiliser les compétences d’une société reconnue pour la construction de ponts, pour nous assurer une installation sécurisée, qui serait conforme aux règles de l’art. Plusieurs compagnies ont répondu à l’appel d’offre et Primorjen une compagnie de génie civil de réputation a gagné l’offre. Bien qu’ils n’aient jamais construit de pont fondés sur des concept d’il y a deux mille ans, nous avons travaillé main dans la main avec eux pour dessiner une solution de travail possible qui répondait à tous les critères.


L’équipe qui a dessiné le pont à Prague était dirigée par Phil Sims, qui a produit de nombreux dessins complexes par ordinateur permettant d’avoir l’approbation officielle, et aussi pour mieux diriger l’équipe de construction vers ce à quoi devait exactement ressembler le pont. Les matériaux servant à la construction devaient avoir l’air d’être grossièrement taillés à la hache, et non pas coupés à la scie électrique, et des caches en bois ont été ajoutés pour masquer les boulons de fixation. C’est un des effets visuels principaux que nous devions obtenir. Comme d’habitude, nos producteur voulaient dépenser le moins d’argent possible, donc un contrôle des coûts très scrupuleux était essentiel. Cela a conduit à mon plus grand casse tête car de nombreux problèmes imprévus sont survenus durant la réalisation du projet.

Une très large maquette du pont et de la rivière, de la taille d’une pièce, a été construite pour que nous puissions manipuler et déplacer les éléments pour mieux voir à quoi cela ressemblerait sur la vraie rivière. Ce fut aussi un outil très utile quand Andrew et Roger étaient en Nouvelle Zélande. En utilisant des mini caméras, nous leurs envoyions des vidéo en direct, ils pouvaient donc voir la maquette et discuter du concept ou des problèmes de conception directement avec nous à Prague.


Comment vous y êtes-vous pris pour construire un tel pont?
En plus des problèmes pour créer le pont décrit plus haut, il y avait un problème d'emploi du temps pour la construction et le tournage. On ne nous permettait qu'une période de construction très courte pour ne pas trop gêner l'utilisation sociale de la rivière par les canoéistes par exemple. Avec le planning de tournage prévu pour l'été, la nécessité d'engager des coûts important, et de faire venir la plupart de l'équipe de Prague, il a résulté un ordre plutôt bizarre dans le déroulement de la construction. Dans le script, le Pont est d'abord vu en train d'être construit et Andrew voulait montrer comment les Telmarines avait besoin d'une immense forêt pour mener leur tâche à bien. Puis nous voyons l'armée traverser le pont vers Narnia. Les troupes vont ensuite faire retraite lorsque le Dieu de la Rivière les détruit alors qu'ils sont encore sur le pont.

Pour permettre cela, nous devions d'abord construire le pont en une seule structure complète, capable de véritablement supporter le poids de notre "armée". Toutes les scènes où l'on voit l'armée traverser puis faire retraite ont été alors filmées. Le démontage de la moitié du pont était prévu sur le planning pour deux jours à l'origine pour permettre le tournage de la scène où l'armée arrive, et finalement en une nuit, tout a du être détruit de façon "créative" pour permettre de filmer l'attaque du Dieu de la Rivière.

A part le fait de nous assurer que le pont apparaîtrait correctement dans le film, le plus grand défi était de pouvoir construire une telle structure, faite de composants individuels, posés dans une rivière possédant un fort courant, sans installer de piliers permanents dans le lit de la rivière (ce qui était interdit car nous devions ensuite redonner à la rivière son état d'origine). Après s'être creusés longtemps la tête, nous avons proposé de dévier complètement la rivière temporairement, pour construire le pont au sec. Ce ne fut accepté par les autorité qu'après de nombreuses discussions et soumissions de relevés de flux d'eau etc. pour prouver que c'était une solution sécurisée.

La procédure que nous avions adoptée était la suivante:
Phase 1: creuser une tranchée sur une partie surélevée existante au milieu de la rivière.
Phase 2: Ouvrir la tranchée pour permettre à la rivière de suivre un nouveau chemin, plus au sud du cours d'eau normal.
Phase 3: Construire un barrage dans le gravier et la pierre pour bloquer le flot réduit d'eau qui suit encore l'ancien cours de la rivière, et diriger toute l'eau vers le nouveau chemin.
Phase 4: Construire le pont dans des conditions relativement sèches, protégé par le barrage.
Phase 5: Lorsque le pont était complètement construit, et qu'il avait obtenu ses certificats de sécurité, le barrage fut enlevé et la rivière reprit son cours normal, roulant maintenant sous le nouveau pont.
Phase 6: La tranchée fut rebouchée et on ne laissa aucune trace de l'excavation (pour éviter tout changement dans le cours de la rivière, plus tard qui pourrait nuire à la topologie unique de la rivière à cet endroit et en aval.)

Cette approche nous a aussi permis de répondre à une autre des demandes d'Andrew, à savoir que l'eau devait paraître plus profonde, et spécialement si le courant était réduit à cause des conditions climatiques d'été. Nous voulions au départ construire un barrage en aval pour maintenir une quantité d'eau fixe, mais les autorités ont refusé. Donc nos excavations ont permis de creuser de profondes tranchées de part et d'autre du pont, et cela fait croire que l'armée est dans une eau suffisamment profonde lors de la retraite, pour pouvoir les submerger.

La responsabilité de la construction sur le terrain a été déléguée à mon art director le plus expérimenté, Dave Allday assisté de Katja Soltes, l'art director local qui a guidé le projet, au travers des complexes permissions à obtenir. Leur tâche était de superviser et de solutionner tous les problèmes lors de l'installation, pour s'assurer que nous obtenions à la fois un pont avec une structure sûre, et qui en plus convenait visuellement aux paramètres du film. Leur présence lors des points d'étape était naturellement nécessaire et cruciale pour nous assurer que le planning prévu par la production soit tenu, ainsi que pour maintenir le plateau dans l'état nécessaire pour le film.

Le lieu en lui même n'a-t-il pas dû aussi être remodelé?
Malgré la beauté naturelle du lieu, Andrew pensait qu'il n'y avait pas assez d'arbres à côté de l'endroit choisi pour la construction, et particulièrement pour le côté du monde de Narnia. Donc notre équipe espaces vert, sous la direction de Jon Marson a eut la tâche de trouver des arbres de taille adulte pour placer dans la partie sèche du lit de la rivière.

Plus d'une centaine d'arbres et une grande quantité de feuillage de sous bois ainsi qu'un sol forestier furent nécessaires pour agrémenter le lieu. Pourtant à cause des contraintes locales, cette flore devait être complètement séparée de la rivière et tout devait être enlevé une fois la scène tournée. Pour cela, des tubes en plastiques drainant ont été installés verticalement dans la rivière, dans lesquels les arbres ont étés ancrés. Un tapis en plastique fut posé entre le sol existant et celui de la nouvelle forêt, pour éviter que le nouveau sol ne s'infiltre dans la rivière. Et comme tous ces travaux se sont déroulés pendant les mois les plus chauds de l'année, cela signifiait une bataille constante contre le dessèchement et le brunissement des arbres et le risque d'avoir un aspect visuel sec et mort.
Heureusement, il y avait suffisamment d'eau à côté pour pouvoir en pulvériser sur les feuilles, mais cela demandait une attention constante de l'équipe. A cause de la position du lieu, chaque arbre provenait d'une forêt renouvelée située à 15km de là. Les convois se faisaient par lots de un à trois arbres à la fois, selon leur taille. Ils étaient transportés en lorry, ou par une grue mécanique par delà la rivière, et positionnés de façon sécurisée. Ils ont subi des dégâts durant ces transports, et des branches ont dû être remplacées et tous les dommages camouflés.

Du côté de la rive des Telmarines, il a fallu aussi installer des centaines de souches d'arbres, pour faire croire que Miraz avait coupé cette forêt pour se fournir en bois pour le pont. La plupart de ces souches proviennent du même lieu que pour la forêt des Narnians, et pour garder notre volonté d'être écologiquement responsables, tous les arbres et tous les matériaux du pont furent enlevés et envoyés pour recyclage après le tournage.

La forêt restante fut aussi enlevée et le site nettoyé pour revenir à l'état d'origine. Les seules traces laissées furent les routes d'accès que nous avions installées sur la rive nord, Elles ont été conservées comme élément d'un développement à long terme des autorités locales pour développer la rivière en lieu de loisir pour la communauté locale et les visiteurs.


Et voici maintenant la décoration du plateau. Comment avez-vous accompli cela? Le département décors, dirigé par Kerrie Brown devait décorer les rives pour faire croire qu'il y avait un campement de milliers d'hommes selon les demandes d'Andrew et de Roger. Cela a demandé le dessin et la construction de centaines de tentes, magasins, forges, étables etc. le long de la rive des Telmarines. Bien entendu tout cela devait être installé au dernier moment à cause des dangers des crues , et bien entendu ce qui était à prévoir arriva.

De fortes précipitations firent monter le niveau de la rivière. A un moment juste avant de tourner il sembla que le désastre était imminent, alors que les terres les plus basses commençaient à disparaître sous l'eau qui emmenait les décors. Miraculeusement, l'eau redescendit juste avant que les 1000 unités arrivent pour le tournage et avant que la rivière n'inflige d'irréparables dommages. C'était comme si le dieu de la rivière était effectivement présent, mais d'une humeur magnanime ce jour là, avec un avertissement, et pas des moindres, de ne pas venir le mettre en colère.


Comment avez-vous intégré les effets visuels et les effets spéciaux?
L'unité des effets spéciaux est arrivée la première quelques jours avant l'équipe principale du film, pour tourner les séquences principales sur l'armée, et les plans nécessaires au département des effets visuels. Certaines scènes nécessitaient que des acteurs paraissent interagir avec le Dieu de la Rivière, qui serait ajouté numériquement plus tard. Cela demandait une coordination délicate, en particulier avec les lignes de regard, vers cette entité "invisible" pour que les acteurs semblent regarder dans la bonne position et sous le bon angle. Il y a eut dès le départ de nombreuses discussions avec le département des effets visuels pour mettre au point la façon d'arriver à ce que nous voulions, et au tout début, nous avons eu l'idée d'utiliser un gros ballon sonde attaché à un treuil motorisé. Toutefois, des impératifs comme l'impossibilité de contrôler le vent nous ont fait abandonner cette idée, et finalement un hélicoptère miniature piloté avec adresse fut utilisé pour marquer l'emplacement de la tête du Dieu de la Rivière, vers laquelle les acteurs devaient regarder.



Andrew voulait aussi voir le niveau de la vraie rivière s'élever lorsque le Dieu surgissait de l'eau bouillonnante. Naturellement c'était impossible à réaliser sans altérer le courant de la rivière ce qui nous était impossible de par l'interdiction de construire un barrage, ou même en construisant un quelconque mécanisme à cause des risques de contamination de l'eau par des fuites sur l'équipement utilisé. Donc, comme très souvent dans ces cas là, la meilleure solution fut la plus simple! Les acteurs ont simplement plié leurs jambes pour faire croire que le niveau d'eau grimpait.
Dans les scènes où le pont semble s'élever et se trouve complètement détruit, une combinaison d'effets visuels et réels furent utilisés dans la rivière, comme des cannons à eau, des pompes à haute pression, pour les plans rapprochés. Pourtant l'équipe des effets visuels avaient besoin que certaines pièces principales soient physiquement déplacées et brisés. Et il était impossible dans la rivière Bovec d'utiliser des effets réels à cause du délai et des coûts, sans compter d'autres considérations écologiques.

Pour pouvoir obtenir ce qu'on nous avait demandé, après que le film fut complètement terminé en Slovénie, des morceaux du pont ont été envoyés à Prague, ré-assemblés devant de vastes écrans verts positionnés en extérieur. Pour assister la création des effets visuels , nous avions avant la reconstruction, consciencieusement noté l'orientation du pont en fonction de la position du soleil pour que les ombres portées correspondent exactement au tournage déjà effectué précédemment en Slovénie. Les tournages des petites scènes individuelles pouvaient alors parfaitement être interposés dans le film, sans problème d'ombre différente d'une scène à l'autre. Une pièce du pont fut construite sur un support en acier, avec la possibilité de tourner sur elle même, en utilisant pour la sécurité du bois en balsa, et ainsi des morceaux du pont pouvaient être violemment cassés tout autour des cascadeurs. Une autre section assez large fut construite sur une plate-forme basculante hydraulique, suffisamment résistante pour porter un cheval et pour que le cavalier puisse rester dessus en sécurité, alors qu'elle pouvait prendre un angle de 45 degrés. C'était très étonnant de voir que les chevaux spécialement entraînés pouvaient supporter une telle inclinaison sans avoir peur, et en conservant une confiance aveugle dans leurs maîtres cascadeurs espagnols. Le département des effets visuels avait alors tous les éléments physiques qu'il lui fallait pour intégrer le tout aux éléments créés numériquement, et produire le film finit que vous avez pu voir.

Une fois encore, vous avez partagé avec nous les histoires des coulisses qui sont à elles seules des aventures. Merci beaucoup pour tout ça!
Je suis heureux que le public ait beaucoup apprécié la séquence et j'espère que ces informations permettront de leur donner plus d'élément pour pouvoir apprécier ce qu'il a été nécessaire de mettre en œuvre pour la réalisation de la séquence. Je voudrais aussi profiter de cette opportunité pour rendre hommage aux contributions de mes équipes et de mes collègues de Slovénie qui ont permis de réaliser les défis lancés par Andrew.

Retrouvez la séquence du Pont de Beruna ici.

Merci à Frank Walsh pour cette interview et les documents personnels qu'il a mis à notre disposition (tous droits réservés), ainsi qu'à Scrooge pour sa traduction!

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